Mo, c'est Mohamed, le deuxième du nom dans sa famille. Le premier est mort à l'âge de 13 ans, renversé par une voiture. Mo, ce sera plus facile à porter.
Il a 33 ans, il travaille au centre commercial et vit chez sa mère, qu'il aide après le départ du reste de la fratrie et la mort de son père. Sa vie est parfaitement ritualisée, sans surprise, si ce n'est les quelques femmes avec lesquelles il fait l'amour, sans avoir de relation fixe. Jusqu'au jour où il rencontre la nouvelle vendeuse de la boulangerie du centre, Maria.
Lorsqu'on aime la littérature qui ne dit pas tout, qui laisse une place au lecteur et à son imagination, on est servi ! C'est entre les lignes qu'on sent le déséquilibre mental de Mo (léger autisme ?), c'est en toile de fond qu'on sent la difficulté d'être un jeune de banlieue qui n'a pas fait de super études. Par d'infimes inflexions, des bouts de phrases, le personnage principal dévoile ses manques, ses béances, sa violence contenue.
L'écriture est d'une grande sobriété, mais assène des claques du genre "les mères voulaient faire pitié aux enfants pour les garder avec elles, elles n'avaient pas le droit, les enfants n'avaient rien demandé aux mères, eux", un peu comme le Dominique A minimaliste de la grande époque*.
Marie-Hélène Lafon semble situer habituellement ses récits dans le milieu rural, mais faire de la famille son sujet préféré. Il est tentant d'aller jeter un coup d'œil sur cette production.
Chronique par Reynald Riclet
Mo, 3e roman de l'écrivaine, est disponible chez Folio. A noter que cette collection de poche vient également de publier son Histoire du fils (2020), ayant remporté le prix Renaudot.
* Leurs femmes nous trimbalaient, nous crochetaient le bras
Clignant des yeux d'amour pour qu'on ne les oublie pas
Comme si c'était possible d'oublier ces yeux-là
Ces lèvres au bord du vide qui s'écrasaient sur nous
Ces lèvres que nos pères n'atteignaient que de loin
Depuis qu'on était là, depuis qu'on faisait tout
Pour leur prendre une à une les choses de la main
Avec cet alibi de n'y rien voir du tout.
Extrait de Nos Pères, Dominique A