BD : Erreur système

Dans un futur assez proche, la France est à la pointe de la lutte contre la criminalité. Les gouvernements successifs "d'extrême centre"* ont réussi à imposer à la population un implant neuronal qui permet la géolocalisation, le stockage de toutes les données de chacun, mais aussi la connexion directe à Internet et les appels téléphoniques, un peu comme les google-glasses, mais directement sur la rétine. Le pays a aussi érigé un mur à ses frontières et contrôle drastiquement les migrations. Tout est donc enregistré, conservé et sous contrôle dans la Crypte, sorte de supra-centre de regroupement des informations, en principe seulement consultable par la police. Inutile de dire qu'avec de telles méthodes, crimes et délits sont proches de zéro, toute velléité étant vite dissuadée !

Pourtant en cette période d'électorale, qui devrait voir la reconduction de l'actuelle présidente Constand, une série d'attentats a lieu. Tous les terroristes ont en commun de ne pas avoir d'implants et d'être passés par la Belgique où la puce n'est pas obligatoire.

A
nastasia Ovard est l'enquêtrice qui est chargée de trouver le réseau qui fomente cette violence. Implantophobe, c'est-à-dire qu'elle refuse de s'en servir, et empathique, elle mène ses interrogatoires à l'ancienne. Elle promène partout une peluche "intelligente", Kimi, qui la rassure et la conseille. Son compagnon, Kevin, policier également, soutient Le Parti de la transparence ultime qui prône l'utilisation par tous et en toute circonstance du contenu de la Crypte.

Dans cet univers carcéral à ciel ouvert, Ovard va se heurter à un voile d'opacité, pas seulement en lien avec ceux qui tentent de déstabiliser l'Etat, mais aussi avec le suffrage qui va avoir lieu.

Valérie Mangin (Alix Senator) au scénario et Jenolab au dessin tissent une histoire complexe, rythmée, sans temps mort. Je ne suis pas grand fan de la colorisation numérique, mais j'avoue qu'elle convient bien à l'ambiance froide de ce futur ripoliné. La dystopie est plausible, techniquement nous n'en sommes qu'à moins d'une génération, et la société semble prête à se laisser surveiller en permanence, nos faits et gestes sont déjà gafamisés. Les libertés sacrifiées sur l'autel de la sécurité, les tentations autoritaires laissent entrevoir à quoi ressemble la société vidée de sa vie. On découvre, très légèrement, en creux, en hors-champs, que l'absence de violence criminelle n'a pas éradiqué la violence sociale. Elle a juste étouffé les possibles révoltes. Le paradis pour les libéraux actuels...

La fin peut laisser penser à une suite qui serait bienvenue. Anastasia Ovard nous manque déjà !

Chronique par Reynald Riclet

* cf. Politiques de l'Extrême Centre, essai d'Alain Deneault (aux éditions Lux)