La place est un court récit autobiographique d'Annie Ernaux, sorti en 1983 et qui a obtenu le prix Renaudot en 1984. Une nouvelle édition en livre audio, lu par Dominique Blanc, le remet à l'honneur.
En 1967, quelques mois après que l'écrivaine ait obtenu son CAPES de lettres modernes, son père décède. Lorsqu'elle rentre de l'enterrement, elle entreprend de raconter cet homme.
Né fils de paysan, il quitte l'école à 12 ans pour devenir vacher dans une ferme. A 18 ans, il rentre au régiment et quitte définitivement le travail de la terre. C'est en devenant ouvrier dans une corderie qu'il rencontre sa future femme, mère de la narratrice. Après quelques temps, ils ouvrent un petit commerce près du Havre, un café-épicerie, qui ne permet pas à la famille de vivre correctement. Lui trouvera un second métier dans une raffinerie de pétrole.
Ne voulant ni trahir, ni enjoliver, ni noircir, Annie Ernaux abandonne très vite l'idée de romancer ce parcours de vie. Son style se fait dès lors minimaliste ("plat", diront certains) et elle s'adonne à cet exercice très difficile d'essayer de se souvenir, ce qu'elle découvre bien plus difficile qu'inventer. La mémoire résiste, ne s'apprivoise pas facilement, fait remonter à la surface des bribes. Alors l'autrice s'appuie sur les paroles et les gestes de ses protagonistes.
Dans cette économie de moyens, elle parvient sobrement, avec beaucoup de pudeur, à nous brosser un portrait émouvant de cet "homme de peu". De ce père qui essaiera toute sa vie de ne pas avoir "l'air paysan", qui sera quand même souvent humilié - comme lors de son incapacité à écrire "lu et approuvé" au bas d'un contrat (et l'orthographiant "a prouver") - et qui préférera souvent se taire ou ne pas dire grand chose. La place, c'est celle dans la société, si importante à ses yeux. C'est aussi celle d'Annie Ernaux dans cette famille où la sœur ainée est décédée à l'âge de 7 ans. Elle ne s'épargne d'ailleurs pas au passage, pointant la différence qu'elle faisait entre son milieu d'origine et la bourgeoisie, qu'elle commençait à côtoyer grâce à sa réussite scolaire. Les codes, les centres d'intérêts, la culture officielle, toutes choses qui lui étaient inconnues, qui intimidaient ses parents et intimident encore aujourd'hui les classes modestes.
Avec La place, Annie Ernaux a donc réussi à se racheter de ce léger mépris qu'elle éprouvait dans sa jeunesse, en rendant hommage à son père d'une si belle façon. A l'époque de sa sortie, elle disait qu'elle avait cherché à éviter l'art pour être au plus près de la vérité. Dans ces conditions, émouvoir comme elle le fait est pourtant du grand art ! Et ce n'est pas la lecture de la toujours sobre et juste Dominique Blanc qui trahissent l'intention et la force du texte.