BD : Moi, menteur / Le Tatoueur

A
près Moi, assassin et Moi, fou, voilà donc Moi, menteur, le dernier - et plus épais
(168 pages) - volet de la très réussie mais sombrissime trilogie du Moi par Antonio Altarriba (scénariste) et Keko (dessinateur). La thématique du mensonge vient en dernier. Peut-on y voir un brûlot dénonçant comme étant les plus terribles des "folies" et "assassinats" ceux dont des dirigeants se rendent responsables ?
L
e protagoniste s’appelle cette fois Adrian Cuadrado. Il est conseiller en communication politique et il va tenter de réajuster la fâcheuse posture du Parti démocratique populaire espagnol, accusé de corruption et autres magouilles bien tordues. Il va sans dire que notre anti-héros (qui a des petits airs de Macron. Est-ce volontaire ?) est un grand défenseur du mensonge, qu’il pratique jusque dans sa vie privée. L’imposteur chevronné en tirera des avantages et devra en assumer les conséquences inattendues, y compris de se retrouver mêlé malgré lui à des meurtres sordides.

 Oui, si "le menteur est un dieu dont le verbe crée des mondes"… le contrôle de ces mondes peuvent lui échapper.

 
 
C
omme les tomes précédents, celui-ci propose un nouveau récit complet, à la différence qu'il n'est pas recommandé de le lire indépendamment des autres, car il tente de boucler la boucle en faisant intervenir quelques personnages souhaitablement déjà familiers aux lecteurs. Le problème, c'est que la galerie d’intervenants semble s'étoffer ici à l’excès, dans un récit déjà très dense. Et cette fois, le fait de superposer en voix off la philosophie du protagoniste s’avère assez malvenu dans des cases qui racontent autre chose.
Le moindre moment d'inadvertance vous fait aisément perdre le fil des malversations politiques et des noms. Les planches en noir, blanc et vert, avec décors détaillés, obtenus par filtrage infographique de photos, sont (volontairement) oppressantes, manquant peut-être un peu d'air pour être parfaitement fluides. Cette bande dessinée exige une attention de lecture particulière.
 
E
ncore une fois, les auteurs parviennent à brouiller les pistes entre le "glaçant" vraisemblable  (avec Steve Bannon et Jean-Marie "Drunker" Juncker en guest-stars) et celui qu’ils imaginent. L’ouvrage nous dresse un portrait à peine caricaturé des fonctionnements de la classe politique (espagnole et d'ailleurs),
sur son travail sur l'image ("washings" et autres "reliftages") et nous fait tour à tour réfléchir sur les concepts de "storytelling" ; de l’impact véhiculé par des œuvres d’art (même s'il s'agit de fausses) ; ou sur les bassesses humaines qui sommeilleraient potentiellement en chacun de nous.

 Dommage que le contenu soit trop touffu (ainsi qu'une scène chez le faussaire assez illogique dans les comportements de personnages). Ce troisième tome est donc un peu moins captivant que ce qu'on  pouvait attendre d'une suite de Moi, assassin et Moi, fou (mon préféré), mais pas moins intéressant, ni moins perturbant. Une trilogie recommandée donc, à  condition d'avoir le moral bien accroché, car ce  sont des lectures qui  pourraient s'avérer trop "plombées" pour beaucoup, en ces temps troubles que nous vivons. Vous voilà prévenus. Et c'est édité chez Denoël Graphic.
 
A
utre BD, mais dans un registre similaire, Matz,
le scénariste du Tueur (avec Jacamon, chez Casterman) signe à présent Le Tatoueur (oui, il ne s'est pas foulé pour le titre). Il s'associe cette fois avec le desinnateur Futaki et le label "Grand Angle" des éditions Bamboo... et reprend en partie sa recette gagnante : un personnage solitaire, qui tient à son anonymat et qui, en apparté de l'action, nous communique sa vision quelque peu désabusée du monde. Sauf qu’il ne s’agit pas ici d’un criminel mais d’un artiste qui les côtoie.
 
 
A
mbiances de nuit, taxis mystérieux… et un héros qui va, bien malgré lui, se retrouver embarqué dans des embrouilles de conspiration et de corruption.

Le Tatoueur, c'est du roman noir de bonne facture, dont la fin ouverte n'exclut peut-être pas - qui sait - un futur développement en série.
 
Chronique par Joachim Regout