BD : Aspirine - T03 : Monster Tinder

Si j'admire les talents de conteur et de dessinateur de Joann Sfar, si je suis sidéré par sa rapidité d'exécution, je me dis par contre qu'on ne peut vraiment acheter aucun de ses bouquins les yeux fermés. Vive les avis de lecture honnêtes sur le web (parmi lesquelles les chroniques de la rédaction Asteline, bandes de petits veinards) ! La bibliographie de Sfar est en effet particulièrement dense… en pire comme en meilleur. Après une période de ses  livres peu inspirés, j'avais même abandonné l'idée de continuer à suivre sa production... 
 
... A
u point
d'être passé complètement à côté du lancement d'Aspirine comme série spin-off du Bestiaire amoureux (anciennement Grand Vampire, chez Delcourt). C'est l'année dernière que l’excellent premier tome de La Chanson de Renart (paru chez Gallimard) a renouvelé mon enthousiasme pour l'imagination débordante de cet auteur. Malheureusement, je crains  qu'on ne  puisse pas parler d'un retour d'inspiration généralisé dans sa production, comme en témoigne ce Monster Tinder. Ce 3e tome (mais premier que je lis) d'Aspirine vient de paraître aux éditions Rue de Sèvres.
 
La grande sœur de l'héroïne, la plantureuse Josacyne "qui calme ses angoisses depuis 300 ans par une activité sexuelle effrenée" y partage le rôle principal. Affublées de smartphones, s’exprimant avec des expressions modernisées, nos vampiresses évoluent dans notre époque en proie au COVID-19. Un monde où les humains comme les monstres sont à cran, à force d’être confinés.  
 
U
ne trentaine de planches (en gaufrier de 6 cases par page) s'avèrent relativement sympa… sauf que la BD en fait 112 et que Sfar a fini par me perdre dans ses improvisations foutraques où
tentent de faire bon ménage les questions d'actualité et les créatures kitsch, les références philosophiques (Nietszche) et les fantastiques (Lovecraft), les moments de tendre complicité et les scènes gore, le délire cathartique et l'envie d'agencer de bonnes idées sur le pouce. Car de bonnes idées, il y en a, mais aspirées dans les tourbillons d'une sauce qui ne prend pas. La faute en incombe aussi à quelques ellipses dérangeantes, des monstres déjà vus mille fois et des dessins négligés (contrairement à ceux de la couverture ou du 4e de couverture). 
 
C’est vraiment dommage, d’autant que la (faussement) frêle, (vraiment) pâlotte et (joliment) rebelle Aspirine reste un personnage réussi. Il se murmurerait d'ailleurs que son créateur la destinerait à une carrière au cinéma.
 
A
noter que l’album propose, dans ses dernières pages, un "récit dont vous êtes le héros" (écrit par Laurent Bernasconi), ponctué
de quelques dessins inédits appréciables… C'est là surtout un stratagème publicitaire pour promouvoir le jeu de rôle Monstres, développé autour de l'univers de Sfar.  
 
Croisons les doigts pour que la suite de La Chanson de Renart, elle au moins, conserve son niveau d'espièglerie réjouissante jusqu'à son dénouement. 



Le tome 2 paraît déjà en ce mois de mai 2021 !
 
Chronique par Joachim Regout