HERMANN et la couleur directe

Joachim Regout : Travaillez-vous exclusivement aux aquarelles dans vos planches en couleur directe ?
Hermann : Oui, des aquarelles… et de la gouache aussi, mais c’est très rare. Dans l’histoire que je suis en train de dessiner, qui s'intitule Rodrigo (12e tome de Bois-Maury), il y a à un moment un ciel de nuit constellé très pur. Vous pensez bien que je ne vais pas contourner les étoiles que je laisserais blanches. Je couvre d’abord la totalité du ciel d’une surface bleu foncé, et je reviens avec des points de gouache pour exprimer les étoiles. Mais c’est uniquement dans ce cas-là, qui est particulièrement limité (rires).

Eprouvez-vous le goût de la belle planche originale, ou est-ce que vous considérez votre travail comme étant destiné uniquement à l’impression ?
Ah non, la planche originale doit être bien, mais je n’ai pas de préoccupations esthétisantes. Je me méfie un peu des bandes dessinées trop picturales, même si elles sont belles. C’est un peu comme un cinéaste qui mise tout sur la photographie: c’est tellement beau qu’on ne voit plus que la photo, au détriment de l’argumentation. Non, moi, j’essaie d’équilibrer le tout: j’essaie de faire un dessin qui ne soit pas léger, que je tente de rendre assez beau, mais pas du tout esthétisant. Je n’aime pas le maniérisme. J’aime aller droit au but : les choses doivent être simplement et non sophistiquement belles.

Néanmoins, n'avez-vous pas le sentiment qu'avec vos planches en couleur directe, vous participez en quelque sorte à cette crédibilité artistique qui a longtemps fait défaut à la bande dessinée  ?
Il y a des auteurs qui prennent tout à coup de ces airs de penseurs - je ne nomme personne mais… Non, non, je vous en prie ! Je voudrais bien mettre les choses au point : je suis un artisan, je ne me prends pas pour un artiste ! J’utilise mes dispositions, un certain talent pour dessiner et pour raconter des histoires. Je ne me prends pas pour un phare, je ne suis pas Picasso. Dans ce métier-ci, il ne faut pas l’être : il faut y raconter des histoires. Ca ne signifie pas qu’on n’ait pas un style ou un dessin intéressants. Je veux dire par là que si on veut faire de l’art graphique à l’état pur, on ne raconte pas d’histoires parce qu’il y a des contraintes liées à la narration. C’est un petit peu comme si on demandait à un caméraman de cinéma de faire de la photo artistique. Le très bon photographe artistique ne sait probablement pas raconter une histoire et il n’est pas là pour ça. Il est un pied de la table, il n’est pas la table dans sa totalité.