HERMANN et les Beaux-Arts

Joachim Regout : Hermann, en matière d'arts, êtes-vous sensible à la sculpture ? 
Hermann : En sculpture, j’aime beaucoup Giacometti. J’aime les choses un peu rugueuses. Michel-Ange, je trouve ça admirable, tellement précis et tout… mais ce n’est pas ce qui m’émeut le plus. Je préfère l’art plus approximatif. L’art archaïque me touche immensément : l’art africain, celtique… Ah, si je pouvais avoir des pièces d’art pré-colombien ! C’est évidemment hors de prix, je n’en ai pas les moyens. Je n’ai pas dit que c’était plus beau, ça me touche simplement plus. La plupart des gens préféreront des statuettes peaufinées et lisses. 
En matière de mobilier, c’est pareil : j’aime la Renaissance espagnole ; par le passé j’ai aimé jusqu’au Louis XIII ; après, ces Louis XIV, Louis XV, Louis XVI… c’est maniéré, prétentieux, un peu baroque. Je déteste l’art pompeux ! Et l’art "contempo-rien" (rires), là… Désolé, je suis peut-être un con, mais je trouve qu’il y a une réelle fumisterie derrière ces gens qui nient l’artisanat. Duchamp, désolé, mais pour moi, c’est un gag-man ! Et permettez-moi d’affirmer que Franquin était bien plus doué pour les gags ! Non, je ne saisis pas. Il y a peut-être des intellects, la bouche en trou de cul de poule, aux mains très fines et aux épaules étroites qui vont être capable de vous parler de ça… Tant pis si je suis trop primaire, mais je ne rentre pas dans ce jeu !

La peinture ?
Oui, en tant que dessinateur, il y a des formes d’arts graphiques au sens large qui me touchent beaucoup. J’adore Egon Schiele, par exemple. La plupart des gens vont trouver ça laid, parce qu’il n’y a pas de recherche d’esthétique… mais c’est d’une force ! C’est d’un déchirant ! Cette espèce d’érotisme qui conduit par la suite à la mort… Ca me touche énormément. J’aime bien les peintres hollandais, tels Rembrandt ou Vermeer de Delft, pour les lumières. Ca fait un peu bateau, mais j’aime bien l’impressionnisme. Il y a des Picasso qui m’intéressent, mais j’attends encore d’être totalement ému. Miro, pour moi, désolé, mais c’est du tachisme ; du joli tachisme en tant que décoration, mais ça ne me touche pas en tant que peinture. En général, les choses trop géométriques non plus.

Et la musique ?
C’est l’art premier, celui qui sait m’émouvoir jusqu’aux larmes ! Dans tous les domaines, il y a des choses très fortes : prenez la chanson française – pas la plus récente, qui copie la musique anglo-saxone : Brel, Brassens, quelques chansons de Léo Ferré, Trenet et même des tas d’autres dont les noms ne me reviennent même pas.

L’univers de la musique actuellement, je parle notamment de celles qui émanent des voitures etc. se réduit à un produit de consommation chiant, mauvais, sans la moindre intériorité ! C’est de la merde ! Ca vous cogne en surface et dans les oreilles… mais ces musiques n’ont rien en profondeur, rien !
Je ne joue pas au vieux con : déjà à 19 ans - j’avais émigré au Canada à cette époque-là - j’étais obligé de me taper le hit-parade qui passait à longueur de journée sur le transistor au boulot… A un moment, j’ai eu un haut-le-cœur : je me suis dit que ce n’était pas possible ! En Europe, on était un peu plus choyé quant à la musique qui passait à la radio, même si je ne l’écoutais pas fréquemment. Tout à coup, je me suis dirigé vers le jazz et la musique classique, d’abord vers ce qui était très bateau, facile à avaler… L’oreille devient plus exigeante par la suite et continue à se former. Même il y a dix ans, j’aurais difficilement supporté certaines musiques de chambre que j’apprécie aujourd’hui : Ravel, Debussy, Janacek, Chostakovitch… La musique dite "classique", et principalement celle de chambre, est pour moi la plus réfléchie, celle qui pousse le plus haut. Enfin, ça prend du temps avant de commencer à l’apprécier. Je n’écoute pas que ça : j’aime la musique populaire aussi, la musique portugaise, certains morceaux de Madredeus, certaines musiques brésiliennes spécifiques, le jazz, de la musique tzigane comme Tara de Haïdouks. Actuellement, j’écoute beaucoup le saxophoniste Jan Garbarek (originaire des pays baltes. Il a été l’accompagnateur de Keith Jarrett pour un de ses concertos, notamment), Astor Piazzola (du tango moderne, très émotif, qui n’est pas fait pour danser), du Dino Saluzzi et toute cette production du label E.C.M. 

Aujourd’hui, afin de distinguer une musique de qualité dans l’énorme choix qui s’offre à nous et les campagnes de marketing ciblées, il faudrait presque l’apposition d’un label "bio", non ?
Eh bien oui, dans le fond, j’ai envie de dire que ce genre de musique, c’est de la musique "bio" ! C’est tout à fait ça. 
Malheureusement aujourd’hui, c’est majoritairement OGM. (rires)
 
Je suppose que quand vous parlez de musique classique, vous en excluez la musique contemporaine ?
Oui, des musiques très modernes comme Maderna, Mauricio Kagel… c’est peut-être très intelligent, mais quand c’est fini, ça fait du bien comme une aiguille qu’on vous enlève. Je dis : non merci. C’est à peu près comme l’art dit "contempo-rien" : "tiédit butchik, pololo bop" ! Je me vois mal dans un fauteuil avec l’envie de planer en écoutant ça. Récemment, j’écoutais une émission sur France Culture qui s’appelle "l’atelier de création radiophonique" : c’est une telle branlette intellectuelle qu’on a envie de jeter une grenade là-dedans. Il y avait un compositeur qui avait enregistré le chuintement des tuyaux de chauffage et qui présentait ça comme une œuvre d’art. J’avais envie d’aller lui dire d’aller se faire foutre et de lui écraser la gueule, à ce type-là. 
A ce moment-là, il faudrait retirer le terme "musique" car tous les bruits existants seraient de la musique puisqu’ils sont des sons. Donnez un crayon et un papier à n’importe quel trou du cul, même un demeuré, il va vous dessiner n’importe quoi. "C’est du trait, pourquoi ne serait-ce pas de l’art ?" Non, non : arrêtons le massacre ! Il n’y aurait plus d’artistes puisque tout le monde est capable de faire une oeuvre ? C’est faux ! Il y a une différence entre les êtres ! C’est comme en sport : il y en a qui gagnent, d’autres qui sont derrière, au milieu, à la fin. Je suis un adepte du cyclisme, et les gens aiment ça parce qu’il y a des champions. Si tout le monde arrive en même temps, où est l’intérêt ? Oui, il y a des gens qui sont médiocres, d’autres qui ne le sont pas : il y a des degrés dans les aptitudes des gens, c’est inévitable ! Ca crée des frustrations, mais c’est la vie qui est ainsi.

Pour en revenir à la baisse de qualité de la musique en général, quelle responsabilité imputez-vous au fabricant, avec ses stratégies marketing bien ciblées ? 
Les fabricants sont responsables aussi. Ils réfléchissent à ce qui marche… Il est plus facile de rabaisser le goût de la masse que de le tirer vers le haut. C’est normal : le tirer vers le haut demande également un effort de cette masse. Les gens sont toujours en partie responsables.