BD documentaires : Fronde Fiscale + Soigne, maltraite et tais toi !

I
ntéressant les bédéphiles mais aussi plus largement des personnes que la lecture de longs essais* rebutent, le genre qu'est la BD documentaire connaît sa pleine expansion : sujets politiques, économiques, écologiques, elles expliquent, dénoncent parfois, dans un support court et ludique à l'occasion. Pas besoin donc d'être un fin connaisseur de BD, l'essentiel étant d'abord d'avoir pu approfondir un sujet, une fois le livre refermé.

La Boite à Bulles décline sa collection "Témoignages-Documentaires" avec une série intitulée Parcours de Lanceurs d'Alerte, en collaboration avec la Maison des Lanceurs d'Alerte et Transparency International France, des organisations destinées à rendre la gouvernance du monde plus transparente et plus juste.

Les deux premiers tomes - sortis simultanément - sont consacrés à Céline Boussié et Antoine Deltour, des Français qui ont eu le cran de tirer la sonnette d'alarme dans les années 2010. 


La première a dénoncé les maltraitances infligées à des enfants et jeunes adultes polyhandicapés dans un IME (Institut Médicoéducatif) du Gers, Le Château de Moussaron. Locaux et matériel vétustes, personnel insuffisant, et surtout manque d'hygiène, violence et déshumanisation étaient le lot quotidien de ses pensionnaires.

Le second a mis en lumière des pratiques fiscales permettant aux grandes entreprises de se soustraire à l'imposition, grâce à de subtiles montages favorisés par le gouvernement luxembourgeois. Pour résumer, une multinationale monte une filiale dans le Grand-Duché, en fait juste un bureau avec une boite à lettre. Elle prête de l'argent à taux zéro à cette filiale, qui en retour prête son argent à des taux très élevés à la maison mère ou à d'autres filiales situées dans des pays à l'imposition plus élevée. Ces filiales vident ainsi leurs comptes vers le Luxembourg. C'est là qu'entre en jeu le gouvernement voisin, il accorde à la filiale une imposition extrêmement basse, les tax rulings ou décisions fiscales anticipées. Les géants du business, se soustrayant ainsi massivement à l'impôt dans les pays dans lesquels ils font leur bénéfices, contraignent les gouvernements à rogner sur les systèmes de santé ou éducatifs. C'est plus facile que de s'en prendre aux vrais fautifs...


C
es deux ouvrages de vulgarisation scénarisés par Ferenc et dessinés l'un par Sanz, l'autre par Léandre Ackermann, réussissent à nous passionner pour ces thèmes qu'ils dénoncent, à nous rendre plus conscients des dégâts qu'occasionnent la cupidité et l'avidité, qu'il s'agisse de ceux d'un couple de médecins ou de grands groupes industriels. Nous découvrons aussi avec effroi l'extrême difficulté d'être un lanceur d'alerte : pressions, procès en diffamation ou pour vol de documents, persécutions sont leurs points communs à tous. Certains perdent travail, famille, vie sociale. Julian Assange, Chelsea Manning ou Edward Snowden, trois des plus connus mondialement, après avoir révélé des dysfonctionnements dans l'armée et les services secrets américains, ont été incarcérés ou ont dû se réfugier dans un autre pays. De vrais héros !


Chronique par Reynald Riclet

Pour rappel, ces deux bandes dessinées sont parues à La Boîte à Bulles.


* En lien avec la présente chronique, la rédaction recommande toutefois de lire Juger les multinationales (paru aux éditions Mardaga) ou encore L'art de lancer une alerte (ouvrage collectif paru aux éditions Yves Michel).