Les deux auteurs font un constat amer : aujourd'hui on ne débat plus, on "jaspine", mélange de bavardage et de vocifération. L'autre n'a pas de légitimité et sa parole aucune valeur, il y a dialogue mais il ne peut dans ces condition y avoir débat. La polémique fait plus vendre, tandis que le débat fait peur par son sérieux. L'échange "d'idées", d'arguments, effraie notre société, focalisée sur la performance. Nous assistons donc à des "matchs-exhibitions", dans lesquelles on vient voir de "jolis coups". Les politiques eux-mêmes s'y complaisent. Leur attitude va prévaloir sur leur argumentaire.
Ce ne sont pas des intellectuels spécialisés qui sont sur les plateaux, mais des chroniqueurs qui peuvent parler un jour de la guerre en Ukraine, le lendemain de l'inflation, et le troisième de la réquisition des grévistes.
Un autre frein au débat actuel est l'assimilation entre "je suis" et "je pense". Car la réduction de la pensée à ce que l'on est empêche la fluctuation d'idées indispensable pour rendre l'échange d'idées fructueux.
Au niveau de l'Etat, si on prend le cas du Grand Débat National initié en 2019, un de ses lieux était le cahier de doléances. L'effort de la population a été envoyé aux archives départementales sans réelle restitution publique. Cela donne le sentiment d'une parole citoyenne négligée, voire écartée.
Lorsque les français refusent une situation, on dit qu'ils n'ont pas compris ou qu'on n'a pas fait assez de pédagogie, bref... qu'ils sont bêtes. Comme s'ils étaient des citoyens de seconde zone, incapables de comprendre et donc de participer au débat public... Ce qui rappelle aux auteurs les mots de Bertold Brecht : "Ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ?". G. Prigent ajoute : "Quand les citoyens s'emparent du débat, c'est tourmenté, c'est difficile. Mais c'est normal, le débat (est) ainsi".
Le livre se décline en 5 chapitres : Quand ne compte que le goût du spectacle ; Les lieux du débat ; L'objet du débat ; Les acteurs du débat ; et Les mots du débat. Les clés pour le réinstaurer, c'est ce que tentent d'offrir Périer et Prigent. Le plus tôt dans l'existence possible. L'éducation au débat à l'école tient d'ailleurs ici une place primordiale : se respecter, s'écouter, admettre un changement d'avis sans en faire une défaite...
Un essai très intéressant auquel on pourrait
faire deux reproches : une certaine frilosité vis-à-vis d'une plus grande ouverture
démocratique ; et l'absence
criante de l'éducation populaire et politique. Car débattre doit
amener à
décider ; avoir des
capacités
oratoires et d'éloquence c'est nettement mieux lorsqu'on sait de
quoi on parle, lorsqu'on connaît les enjeux, ce qui est meilleur pour soi et la société.