BD : Un roi sans divertissement



E
t encore une adaptation d'œuvre littéraire diriez-vous ? D'un côté on pourrait dire qu'il y a mode, et qui dit mode dit tiroir-caisse.  D'un autre, combien de films, de disques qui puisent leur inspiration dans les livres sans que l'on s'en offusque ? Comme à chaque fois les bonnes questions sont "qu'en faire ?", "adaptation fidèle ou interprétation ?", "servir ou trahir ?", puis enfin, pour nous lecteur, " réussi ou pas ?". Voyons ça de près pour ce Roi sans divertissement, d'après le roman de Jean Giono.
 
"Un roi sans divertissement" est une allusion aux Pensées de Pascal, signifiant un homme plein de misères. Mais de l'acception moraliste et chrétienne de Pascal – un homme dont l'ennui existentiel le conduit au divertissement, pouvant aller jusqu'à la fascination du mal - Giono s'éloigne car pour lui seul le divertissement peut nous aider à vivre. 

Son récit, écrit en  1947, se situe dans le Trièves, entre Vercors et Dévoluy. Le capitaine de gendarmerie Langlois recherche dans un village isolé un mystérieux tueur, qu'il finit par abattre. Après avoir démissionné de la gendarmerie, il reviendra quelque temps après pour devenir commandant de Louveterie. Nous n'irons pas plus loin afin de ne pas déflorer l'histoire, mais le roman étonne par le nombre de narrateurs qui permet - en diversifiant les tons et avis - de brosser un portrait pointilliste du troublant Langlois. Une adaptation en bande dessinée s'avérait difficile, voire périlleuse.

Dufaux (au scénario) et Terpant (aux dessins) ont relevé singulièrement le défi en utilisant le petit théâtre de la demeure de Madame Tim, hôte de Giono qui a bien connu Langlois. Ainsi les acteurs se parlent et s'adressent à l'auteur, leurs propos s'entrecroisent ensuite avec les paroles de Madame Tim et celles de Giono. Une voix off vient compléter la retranscription du roman. Sans réel signalement, on passe d'une époque à une autre, d'un narrateur à l'autre, soulignant ainsi la dimension orale du récit que voulait Giono. Le lecteur s'en trouve aux aguets pour ne pas perdre le fil. Une vraie réussite à ce niveau-là. 

Pour en revenir à nos questions de départ, ce "roman graphique" au sens littéral réinterprète en trahissant l'original avec bonheur. Ce sont les écarts qui ont permis à la transposition en BD de garder l'intérêt du roman, sa subtilité et son mystère.
Côté graphisme, il faudra apprécier le technicolor réaliste de Jacques Terpant pour être pleinement satisfait.

Chronique par Reynald Riclet

Un roi sans divertissement est paru chez Futuropolis.