Levons tout de suite les ambiguïtés que pourraient susciter le titre, ce roman graphique n'est en rien la chronique d'une science naissante en ce début de XXe siècle, vous n'apprendrez rien de profond sur la psychanalyse. Il ne s'agit pas non plus d'un échange entre le fondateur totémique et un de ses jeunes disciples américains.
De Frink et Freud il faut surtout voir le caractère et le parcours romanesques de la vie de son personnage principal, Horace Westlake Frink. Né dans une famille aisée - son père est un industriel - , il subit une série de traumas qui feront de lui cet être hanté par l'échec et la culpabilité, et de surcroit bipolaire. Horace prend de plein fouet le départ de ses parents à la suite de l'incendie de l'usine paternelle, un abandon pur et simple pour que le couple puisse se construire une nouvelle vie dans l'Ouest Américain. C'est son grand-père maternel qui l'élève ensuite, l'incite à suivre son exemple et à devenir lui aussi chirurgien. Un accident lui faisant perdre l'usage de plusieurs doigts le prive de ce rêve. A cela ajoutons la mort assez rapide de sa mère après son départ et nous avons là un bon potentiel à névroses.
Que vient donc faire Freud là-dedans alors ?
D'abord, c'est un maître pour Frink qui, après avoir renoncé à la chirurgie, s'est tourné vers la psychiatrie, puis la psychanalyse. En 1909, il est son guide lors de l'unique venue du Viennois aux Etats-Unis, ce qui renforce son admiration... mais aussi sa frustration, car son idole ne le convie pas à ses conférences.
Ensuite Frink vient le consulter en Autriche. Il a trahi l'une des grandes règles de la psychanalyse en ayant une aventure passionnelle avec une de ses patientes - la belle et richissime Angelika Bijur - , tout en culpabilisant vis-à-vis de sa femme. Là repose la troisième ambiguïté, les troubles mentaux de Frink doivent plus à ses traumatismes passés et ses histoires d'amours qu'à sa rencontre avec Freud, même si celui-ci s'est trompé assez lourdement sur son cas et qu'il influencera son destin tragique. Pierre Péju, professeur de philosophie, psychologue, essayiste et écrivain a concocté un scénario fouillé, très bien mis en valeur par le beau dessin en noir et blanc de Lionel Richerand. Une fois bien identifiées les petites méprises citées plus haut, on se laisse largement emporter dans le mélodrame qui se joue entre ces personnages, hauts en couleurs eux !
Roman graphique paru chez Casterman