POESIE : Lexique amoureux

"Lire mon corps 
Me vêtir de son corps
Chaque fois que je vais à la nuit
Je parcours son amour et m'éblouis :
La nuit n'a qu'à prendre ses traits
Ses mystères et qu'être
son nom"

Lexique amoureux est une nouvelle édition regroupant quatre recueils de poésie d'Adonis : La forêt de l'amour en nous, Les feuillets de Khaoula, Commencement du corps fin de l'océan et Histoire qui se déchire sur le corps d'une femme

Sce poète et philosophe syrien (né en 1930) est connu pour ses prises de position fermes contre le fondamentalisme, contre la naïveté dans les révolutions populaires, s'il déplore le manque de constructivisme arabe contemporain, s'il se rebiffe face à l'ingèrence du religieux dans le politique*, le présent livre nous rappelle combien il tient à sa culture arabe dans ce qu'elle a de plus noble et est imprégné par ce thème essentiel qu'est l'amour. 

Traduisant en mots imagés des premiers émois comme ceux des amants mûrs, ces pages s'avèrent tantôt sensuelles, tantôt bousculantes, dérangeantes, déchirantes, questionnant nos croyances, nos conditions d'hommes et de femmes... face à l'amour, sa beauté, ses mécompréhensions, et ses drames aussi : 

"Toutes les fois que l'ombre me prend en sa demeure
je deviens certaine que la question
est à l'instar de que murmure la nature : aucune
eau ne l'apaise. Mais
pourrais-je ôter le voile du secret
qui gît en moi, établi en ce lieu sans fond 
entre mon corps et mon âme.

Mon angoisse est que ma tête est emplie de toi,
Toi qui étais mon époux, pleine
de vide, envahie par un Seigneur dont j'ai servi l'autel
de sa demeure
et je fus excisée à sa porte.
Je me demande : étais-tu une personne, 
ou guenilles et lambeaux ?.
Je me demande si tu es vivant
dans ton livre ou dans ta vie, si
tu es mort.
Comment implorer aujourd'hui pour mon amour, en
son temple, le pardon
pour ce que tu as fait
et pour ce que j'ai accompli ?

Pourquoi t'ai-je offert mon corps comme une oasis
pour les promenades de ton corps ?
Pourquoi t'ai-je élu son seul gardien ?

Mon angoisse est que ma tête est pleine
de ton vide, que ton plein est redondance de "nous", 
"nous fûmes" et "ils furent", et d'où viennent-ils et 
d'où venons-nous ?
Mon angoisse est que tu étouffes de "jusqu'à", 
"d'où" et "plût au ciel !" "
Dans des gammes de couleur contrastées, ces pages offrent à lire de petites perles de grande littérature poétique.


Chronique par Joachim

* Retrouvez Adonis en interview sur ces questions-là
ici par exemple.