Editeur : Flammarion (Champs Essais)
Pourquoi un système d’information bénévole et autogéré comme Wikipédia a pu mener à la chute de la très notoire, mais non moins oubliée, encyclopédie Microsoft Encarta ? Pourquoi les programmes open source sont si populaires, à tel point qu’ils se trouvent à la pointe de l’expertise dans de nombreux domaines technologiques sans pour autant fournir le moindre centime aux développeurs ? Comment l’économie sociale, faite d’entreprises dont le profit n’est pas la priorité, est-elle devenue un pan à part entière de notre système économique ?
Autant de questions qui portent à penser que l’on en sait finalement peu sur ce qui anime les gens au jour le jour. La vérité sur ce qui nous motive du journaliste Daniel H. Pink tente de proposer des éléments de réflexion, à la lumière de l’actualité scientifique et sociale, sur les limites de notre façon de considérer la motivation humaine comme soutenue par la récompense.
Sur base des premiers travaux de psychologues sociaux et comportementalistes du XXème siècle et en articulant ceux-ci avec les résultats de recherches récentes en économie, sociologie, psychologie sociale et anthropologie, l’auteur nous plonge dans une analyse à la fois systématique et passionnante des bases de notre motivation.
Le point de départ du livre, c’est la découverte d’une forme de motivation qui ne peut être soutenue par des éléments extérieurs et matériels au sens où l’on pense notre système de récompense traditionnel. Cette motivation se nourrit de l’activité elle-même et non de la récompense qu’elle suscite. Au contraire, la récompense vient même diminuer cette motivation. Nombre d’expériences ont ainsi pu montrer que lorsque l’activité proposée était en soi intéressante, non routinière et stimulante, le fait de laisser la perspective aux personnes d’une récompense en cas de réussite les rendait moins motivés à faire l’activité en question, surtout si la récompense était attendue et surtout sur le long terme.
Cette découverte de ce que l’on connaît bien à l’heure actuelle sous le nom de motivation intrinsèque n’est pas récente et pourtant, elle n’a encore que très peu d’impact sur la façon dont nous considérons la gestion humaine, par exemple dans l’éducation ou dans le travail, où le principe premier qui organise le système reste que les personnes n’apprendront et ne travailleront que si on les contrôle, si on les récompense et si on les sanctionne.
Daniel H. Pink nous engage dès lors à nous questionner : ne sommes-nous pas à une époque où la philosophie "de la carotte et du bâton" est un peu dépassée par les évolutions sociales, technologiques, économiques, professionnelles et sociétales ? Si travailler pouvait plus largement être assimilé à des tâches répétitives et sans intérêt par le passé (et qui avaient donc besoin d’être soutenues par des récompenses et sanctions externes), le monde du travail a profondément changé ces dernières décennies. Les tâches automatisées et intellectuelles simples sont de plus en plus prises en charge par des machines et ordinateurs et une partie grandissante des emplois se composent non plus de tâches mécaniques et automatiques (où une procédure aboutit à un résultat), mais de tâches où la créativité, la flexibilité et une approche plus holistique sont indispensables. Dans le travail d’aujourd’hui, on doit imaginer, inventer, créer, proposer des alternatives, résoudre des problèmes, s’approprier les contenus et missions… des tâches qui sont en elles-mêmes dignes d’intérêt.
D’où le besoin de conceptions basées sur une structure motivationnelle plus complexe, qui tient compte de la complexité de nos sociétés et des limites des incitations extérieures.
Si nous partions du principe que les adultes ont envie de faire le travail qu’ils ont choisi et que les enfants ont envie d’apprendre ? Après tout, comme le souligne l’auteur, nous ne doutons jamais, lorsqu’on voit un jeune enfant, de son envie d’explorer et de sa curiosité innée pour le monde. Pourquoi partons-nous du principe que cette curiosité disparaît à un certain moment ?
Le tout est alors de créer les conditions dans lesquelles on laisse l’opportunité à cette curiosité, à ce besoin de découverte, à ce goût du progrès, du résultat, du travail bien fait et à l’intérêt que peut susciter une activité en soi ; sans conditionner ce plaisir par l’obtention d’une récompense. Ce n’est pas chose facile, mais Daniel H. Pink décompose avec brio et de façon tout à fait cohérente (et convaincante) ce qui soutient la motivation intrinsèque et qui fait le succès de nombre d’entreprises au jour le jour. Chacun pourra alors à son propre niveau et selon sa propre expérience, se raccrocher à l’un ou l’autre des nombreux exemples concrets fournis qui feront sans aucun doute écho à sa façon d’agir au quotidien.
Dans un langage clair et concis et avec un style fluide et ludique, l’auteur réussit à la perfection l’exercice de vulgarisation et de synthèse scientifique en suscitant la réflexion et en proposant des solutions concrètes. Les petits plus de l’ouvrage : une section d’outils pratiques (faites de principes, références bibliographiques et méthodes pour se rapprocher d’un mode de vie, de pensée, de gestion et d’éducation orienté vers la motivation intrinsèque) ; ainsi qu’un résumé très pédagogique disponible à la fin de chaque chapitre. Un livre à mettre entre toutes les mains !
Chronique par Romina Rinaldi
Extrait de cet essai :