BD : Alexandra David-Néel (Les chemins de Lhassa)

Auteurs : Perrissin, Pavlovic, Clot
Editeur : Glénat (Explora)


Alexandra David-Néel a toujours eu le goût du voyage et de la liberté. Dès son plus jeune âge, une vie morne dans une famille sans amour l'amène à développer son sens de la fugue et ses rêves d'horizons nouveaux. Aujourd'hui encore, son nom résonne comme celui d'une des plus grandes exploratrices du vingtième siècle. Première femme occidentale à avoir pu pénétrer la capitale tibétaine de Lhassa, philosophe, orientaliste, bouddhiste tôt convertie et assidue, elle possédait un charisme qui n'avait pour égal que son érudition. Et peut-être aussi son obstination...

C'est à quarante-trois ans, en 1911, qu'elle entame son troisième voyage en Inde, le plus important, celui qui devait la tenir éloignée de l'Europe pendant quatorze années. Soutenue financièrement à distance par son mari Philippe, accompagnée de celui qui deviendra son fils adoptif, Aphur Yongden, elle parcourera le nord de l'Inde, le Népal, le Sikim, séjournera au Japon, suivra les enseignements du Gomchen, un yogi réputé et exigeant qui l'initiera de façon extrême à la méditation. Mais son objectif demeurera le même : entrer à tout prix au Tibet, ce pays des neiges, ce pays interdit.

C'est la rencontre d'Alexandra avec l'agent britannique David McDonald qui est le prétexte narratif de cet album. Précédée par sa renommée, elle trouve un Anglais fasciné par son périple et, surtout, par le fait qu'elle ait pu résider deux mois sans se faire prendre dans la capitale d'un pays où tout étranger est interdit de séjour. Le contexte politique est en effet tendu et les frontières tenues militairement par les Anglais, en pleine stratégie d'expansion colonialiste. Scénaristiquement, cette bande dessinée est très bien construite, avec le dialogue de l'exploratrice et de l'agent en fil rouge, le reste du récit étant composé de flashbacks équilibrés. 

Le dessin de Boro Pavlovic est fouillé, quasi photographique et coloré, alternant la beauté des paysages d'altitude avec la rudesse des conditions de vie extrêmes. Finalement, l'ensemble donne un biopic didactique, enrichi d'un dossier en fin d'ouvrage qui permet d'élargir notre vision de l'héroïne et de la situation tant géographique que sociopolitique. Cet album prend sa place dans la collection Explora qui avait déjà illustré la vie de Marco Polo, Magellan, Fawcett, Darwin,...

Quasi simultanément parait le premier tome de la série Une vie avec Alexandra David-Néel, par Fred Campoy et Mathieu Blanchot, chez Bamboo/Grand Angle, où l'accent est mis sur le personnage de Marie-Madeleine Peyronnet, jeune femme ayant partagé les dernières années de sa vie. Dame de compagnie, secrétaire, cuisinière... son admiration pour la vieille femme est ce qui la fait tenir face à son caractère bien trempé, ses exigences et ses manies. Alexandra David-Néel apparaît sous un jour plus orgueilleux, égocentrique, tout en restant alerte dans le rôle du guide spirituel prenant sous son aile une Marie-Madeleine peu instruite. La complicité s'installe pourtant, malgré la cohabitation difficile dans la maison délabrée de Samten Dzong ("La forteresse de la méditation")... Si le graphisme est ici vif, expressif, moins réaliste, la narration est par contre chargée de poncifs, l'introspection de la narratrice assez consensuelle et creuse, le texte use et abuse des points d'exclamation. Les flashbacks sont ici également moins pertinemment choisis. Même si on peut apprécier l'abord plus émotionnel et non dénué d'humour de la relation entre les deux femmes, le résultat est moins consistant, sans doute parce qu'il est dilué sur plusieurs tomes.

Quoi qu'il en soit, d'excellentes occasions de se pencher sur le parcours formidable d'une femme d'exception. 

Chronique par Virginie