Il est des ouvrages dont on se demande un peu à qui ils s’adressent. Comme l’indique son titre et son sous-titre, Thierry Groensteen épluche ici un à un dix ouvrages qui, selon lui, ont amorcé de nouveaux tournants dans l’évolution du 9e Art depuis l’avènement de La Ballade de la mer salée d’Hugo Pratt et de ce qu’on appelle aujourd’hui communément les “romans graphiques”. Pour 23 euros, vous avez donc droit ici à dix longues chroniques d’un expert. Si vous n’avez pas encore lu les bouquins dont il est question ici, n’est-il pas plus judicieux de consacrer cet argent à l’achat ou la location des oeuvres originales ? Et si vous les avez en bibliothèque, vous attendez sans doute légitimement qu’Un art en expansion vous donne les clés pour une nouvelle compréhension de lecture. Or si tout ceci est bien écrit, bien analysé, pouvant faire remarquer telle ou telle cohérence qui vous aurait échappé à la première lecture, il ne s’agit en rien d’une enquête sur les secrets de création, ni d’un manuel de décodage. On aurait bien aimé dans certains cas (celui du Garage hermétique de Jerry Cornelius, par exemple).
Autre point qui pose question, ce sont évidemment les omissions importantes que chaque connaisseur ressentira dans cette sélection arbitraire : où sont Fred, Lorenzo Mattotti, Marc-Antoine Mathieu, Lewis Trondheim, François Boucq et tant d'autres ? Thierry Groensteen épingle bien sûr des titres complexes et parfois “pointus”* qui ont fait l’unanimité auprès d’une certaine intelligentsia bédéphile, mais si le choix est lacunaire on peut à nouveau se questionner sur la pertinence de retrouver ces chroniques sous forme d’un livre.
Du même auteur, on recommande en revanche l’étude pédagogique des spécificités narratives et formelles dans La Bande dessinée, mode d’emploi, chez le même éditeur.
Chronique collective de la rédaction Asteline
* Corto Maltese donc, Le Garage hermétique par Moebius, Watchmen d’Allan Moore et Dave Gibbons, L’Ascension du Haut-Mal de David B., Fun Home d’Alison Bechdel, Faire semblant c’est mentir de Dominique Goblet, Là où vont nos pères de Shaun Tan, Habibi de Craig Thompson, Building Stories de Chris Ware et Alpha… directions de Jens Harder (dont Thierry Groensteen est au passage l’éditeur, ce qui est assez (in)délicat).