Editeur : Grasset
Le quatrième mur
est celui qui, sur scène, sépare de façon invisible les acteurs de leur
public. Les protège et leur donne l'illusion qu'ils sont seuls, à
l'abri. La notion d'illusion est d'une certaine façon permanente dans ce
récit qui mêle les thèmes du cheminement initiatique, de l'acte
symbolique, de l'amitié, d'une naïveté dangereuse, d'idéaux chimériques
et de détresse identitaire.
Défenseur de causes qui sont
rarement les siennes, Georges, homme d'histoire et de théâtre,
rencontre Samuel Akounis, lui-même metteur en scène. Juif, ancien
résistant à la dictature des colonels en Grèce, l'homme en impose. Ami
et frère, Samuel deviendra aussi son guide et son mentor. C'est pour
cela que, lorsqu'un Sam gravement malade lui demandera de reprendre le
flambeau du projet de sa vie, Georges ne pourra qu'accepter. Ce rêve,
c'est monter la pièce Antigone à Beyrouth, carrefour des religions et
des cultures. Nous sommes au début des années quatre-vingts, le Liban
est instable. Mu par la culpabilité et l'orgueil tout d'abord, luttant
contre une lâcheté elle-même aux prises avec l'amour fraternel, Georges
quitte sa femme et leur petite fille pour suivre les traces de son ami,
rassembler les acteurs issus de toutes les mouvances idéologiques et
faire la rencontre décisive de son destin: la Guerre. Rêves de paix et
réalité se rencontrent, la vie ne sera plus la même, tronquée par cette
sensation de n'exister plus qu'en surface quand il faut continuer à être
un être humain alors que le pire est entré en soi.
Le
quatrième mur est un récit empreint d'humilité. Malgré la naïveté
présomptueuse de son personnage auquel on ne s'attache jamais vraiment,
malgré cette folie brassée dans des cœurs qui rêvent encore d'un monde
meilleur, malgré les blessures physiques et morales par où s'échappent
souvent le courage et la foi. "On se débattait parce qu'on espérait s'en
sortir, c'était utilitaire, c'était ignoble. Tandis que la tragédie,
c'était gratuit. C'était sans espoir. Ce sale espoir qui gâchait tout.
C'était pour les rois, la tragédie."
Comme d'autres
personnages de Chalandon, le héros - si on peut utiliser ce terme...-
s'intègre à un conflit qui n'est pas le sien, happé par cette tragédie
qui, lorsqu'elle n'est pas la nôtre, fait naître en nous la honte.
Ironie, beauté du drame, force et faiblesse d'un espoir non maîtrisé au
risque d'être perdu. Le sujet est fort, l'ombre de Sabra et Chatila
plane jusqu'à s'imposer dans un souffle pesant. Et tout cela, dans une
structure narrative qui s'enrichit et se renforce au fil du roman,
allant crescendo jusque dans ses toutes dernières pages et son épilogue.
Tout
semble possible, tout semble impossible dans ce livre. La réalité s'y
construit comme un mensonge. Le style alterne entre évidences et nuances
poétiques. Les images sont fortes. Les respirations brèves.
Le genre de livres qu'on ne termine que dans un essoufflement.
Chronique par Virginie