L'Argentine de
la fin des années quatre-vingts est meurtrie, encore baignée de doutes
et de suspicions. L'ombre de la junte militaire plane et les mères de la
place de Mai pleurent encore leurs enfants disparus.
C'est
dans l'hiver glacé de 1987 que Lisandra fait une chute mortelle de 5
étages. Son mari Vittorio, psychanalyste, est aussitôt arrêté, faute
d'un alibi suffisant. Même s'il clame son innocence, la police trouve
son profil digne du coupable par défaut, malgré l'absence de réelles
preuves. Et n'est pas encline aux recherches. Pour tenter de se
disculper, Vittorio ne peut compter que sur l'une de ses patientes, Eva
Maria. Cette dernière était fidèle à ses consultations depuis 5 ans,
date de la disparition de sa fille Stella. Absente parmi les absents,
Eva Maria ne va pourtant pas la pleurer comme les autres mères de la
place de Mai, se contentant de sombrer dans l'alcool et négligeant son
autre enfant, Esteban.
Tentative de sauvetage de son
esprit en déroute, recherche de coupables au-delà du coupable, mélange
des douleurs et confusion des vies, Eva Maria s'accroche désespérément
aux pas de Vittorio et Lisandra. Ecoutant les entretiens que le
psychanalyste enregistrait en secret, interrogeant les connaissances,
les souvenirs, les lieux. Eva Maria se fond, projette, suppose, craint,
espère. La douleur est comme une tâche d'huile aux multiples reflets,
qui brouille la vue et le cœur.
Au son du bandonéon,
dans une danse si souple et raide à la fois, imagée par le tango que
dansait Lisandra, Hélène Grémillon utilise cette trame pseudo-policière
pour dessiner les limites de la folie, et ce, sous plusieurs formes,
même si elles se rejoignent dans l'absence d'un être aimé. Absence
physique ou affective, distance réelle ou subjective, la souffrance,
elle, est pourtant aussi tangible.
Initialement paru en
2013, ce roman est réédité et fabuleusement interprété dans ce livre
audio aux voix multiples. Construction idéale pour brouiller les pistes,
évocation sobre et sans pathétisme facile des exactions de la junte
argentine, mensonges, troubles, trahisons, zones d'ombres et matériau
brut du souvenir en perpétuelle reconstruction. Le titre, lui, devra
attendre la toute fin du récit pour s'expliquer enfin. Un très bon
mélange des genres dans cette fiction qui ne se démarque a priori pas
par une prise de risque dans la thématique mais plutôt dans une habilité
à faire s'imbriquer les éléments pour rendre son traitement accrocheur
et suffisamment crédible.
Belle découverte ou
redécouverte, donc, animée par une excellente interprétation des
acteurs/lecteurs qui convaincra les plus dubitatifs.
Chronique par Virginie