BD : Les Tours de Bois-Maury

Auteur : Hermann
Editeur : Glénat
Grâce à sa réédition sous forme d'intégrale, c'est avec un regard neuf qu'on entame la relecture de cette série mythique. Regroupant pas moins de 10 tomes constituant le cycle principal et un généreux cahier de belles illustrations, ce sacré pavé se présente sous une forme luxueuse, avec une couverture simili-moyenâgeuse. C'est beau et, à ce prix (49€), on n'est pas volés. Les planches de bandes dessinées, elles, sont par contre reproduites en noir et blanc. Si on garde une préférence pour les albums individuels (plus pratiques à lire) et leurs couleurs signées Fraymond, cette version-ci révèle cependant plus encore la justesse et la force du trait de Hermann à un sommet de son art. On le sait, il en atteindra d'autres, des sommets, que ce soit avec certaines aventures des descendants de Bois-Maury, plusieurs fois avec Jeremiah ou encore des one-shots en couleur directe, tels Caatinga et On a tué Wild Bill

Mais revenons-en à la redécouverte de cette intégrale, en commençant par le début.
Dans le premier tome, une jeune paysanne, Babette, est violée par un chevalier... qui n'aura pas vraiment l'occasion de s'en réjouir puisqu'il sera transpercé d'une lance par l'amoureux de la jeune fille, Germain. Arrêté, ce dernier sera pourtant la clé de voûte d'une rivalité entre le fils du Seigneur local et Aymar de Bois-Maury, chevalier en errance et en rêve de reconquête du domaine de son enfance dont il fut un jour chassé. Par qui et pourquoi, ce n'est pas dans ce tome qu'on le saura.

Une entrée en matière qui installe l'atmosphère et les psychologies avec subtilité : on comprend très vite qu'au Moyen-Âge, les modes de pensée et de communication étaient différents mais l'auteur se garde d'employer des clichés pour nous en faire prendre conscience. Le scénario (mention spéciale pour la qualité des dialogues) et le dessin sont d'une complémentarité sans faille.


Le second tome, Eloïse de Montgri, ne manque ni de gorges tranchées, ni de gueules cassées, ni de personnages secondaires marquants (on pense au vieux au nez humide et à sa poule de compagnie, apportant une note d'humour franchement bienvenue).

En effet, après l'assaut et la destruction du château de Caulx par une bande de pillards, les quelques survivants se sont réfugiés en forêt. Affamés et désespérés, ils tentent de survivre comme ils peuvent. Surgit alors Éloïse de Montgri, telle une Diane chasseresse, séduisante et mystérieuse, afin de les aider mais aussi les guider vers la vengeance. Aymar de Bois-Maury, toujours tiraillé face à la facilité de la mort et de la violence, se joint néanmoins à elle dans cette bataille.

Eloïse offre au récit une dimension supplémentaire et quelques interrogations. En effet, on comprend peut-être trop peu le drame de son passé mais l'aura qui l'entoure ne manque ni de charme, ni de sensualité.


Au 3e Acte, on retrouve Germain (cf. tome 1) et ses "amis" saltimbanques voleurs. 
Alléchée par un trésor d'orfèvreries religieuses, la bande manigance de pénétrer un monastère pour l'en dérober. Charmes et ruses devraient les y aider mais les dangers sont nombreux...
Parallèlement, Aymar de Bois-Maury poursuit sa route et gagne son rêve de reconquérir les tours en protégeant un couple de marchands sur la route de Compostelle.

Un épisode violent, où le soleil du Sud accable les personnages. Manipulations, traîtrise, sang et mort. L'époque se plie évidemment bien à ce jeu, dans sa dureté intransigeante et son absence de compassion. La chasse aux hérétiques est partout et les brasiers nombreux. On sent émaner cette chaleur, cette chape de peur et de fureur qui se pose à chaque page, dans une très belle progression narrative et dramatique.

La saga des Tours de Bois-Maury ne revêt pas la dimension romantique qu'on a parfois attribuée à l'époque mais bien ses forêts sombres, sa cruauté, son dénuement. Et cette invraisemblable fascination que tout cela inspire. Hermann installe par son dessin un univers extrême, que ce soit par les couleurs, les cadrages, la dynamique de mise en page. Ce qu'on en retient surtout, c'est ce côté terreux, cette matière, dans les corps et les paysages, le tout dans un souci incroyable du détail. C'est un graphisme tactile et odorant - pour peu que l'imagination du lecteur y soit !

Trois premiers tomes qui inauguraient donc une série majeure.