ROMAN : La promesse de l'aube

Auteur : Gary
Editeur : Gallimard


"Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle ne tient jamais. Chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d'amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n'y a plus de puits, il n'y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l'aube, une étude très serrée de l'amour et vous avez sur vous de la documentation. Je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine."




Pour ceux que le thème de l'amour maternel, certes maintes fois abordé, ne rebute pas, cette fiction autobiographique de Romain Gary est un incontournable. Amour filial aussi, amour passionné, inconditionnel, aux limites du pathologique, mais entier et inaliénable.

D'une enfance à Wilno (actuelle Lituanie) à l'adolescence à Nice, c'est la dentelle d'une relation qui s'installe, c'est l'ode à la Mère, cette artiste refoulée, prise par le flux et le reflux de la vie. Mère qui projette en permanence sur lui les attentes les plus folles, ne doutant jamais des stupéfiantes capacités d'un fils qu'elle modèle, encourage, pousse et pousse encore, ne lui évitant pas les pires humiliations lorsque le rêve rencontre la réalité avec brutalité. Tu seras musicien, danseur, peintre, ambassadeur… écrivain. Et voulant guérir les douleurs, les ratés de l'existence maternelle, Gary fera tout son possible pour être ce qu'elle espère de lui.

Longue évocation de la guerre, de la distance, de ces élans héroïques aux accents fratricides qui laisseront Gary sensible aux "états d'âme" de la moindre créature vivante. Mort frôlée et pourtant déjouée, la vie ne pouvant lui être ôtée tant que réparation n'est pas faite : accomplir ce que sa mère espère et, par-delà, lui permettre de vivre à travers lui. Être sa procuration existentielle, cette entité tenue fébrilement par un cordon ombilical invisible. Ce roman se termine par la mort de sa mère et, là-encore, toutes les nuances de cette relation si singulière nous sont soufflées sauvagement au visage.

De cette grande capacité d'observation de lui-même, que d'aucuns qualifieront d'égocentrisme avancé, Gary ressort une succession d'images et d'analyses délicates, sans concession, de celui qu'il fut, de celui qu'il s'imagina être. La mère comme une partie de lui, guidant ses gestes, indissociables de ses choix et de ses amours. De ses besoins. De son jusqu'au-boutisme et de sa lutte permanente pour gravir les échelons menant vers le ciel de ses idéaux.

Gallimard propose une splendide version audio lue par Hervé Pierre, dont la voix rauque et charismatique fait résonner le récit d'une puissance minérale. Onze heures d'écoute, d'une fluidité incroyable : voilà qui devrait permettre à ceux que les quelques longueurs de ce roman effraient un peu, de découvrir ce livre mémorable et fort, qui vous suit encore bien après le point final.  

Chronique par Virginie