Editeur : Grasset
San
Miguel est une petite île au large de la Californie. Autrefois utilisée comme
lieu d’élevage pour ovins, à la barrière du Pacifique. C’est là que T.C. Boyle
place l’action de ce roman, on s’en serait douté, cette île-entité où la notion
d’isolement prend tout son sens.
Des
hommes et des femmes ont foulé son sol de landes et de pierres, où plus aucun
arbre n’a fini par pousser. Ranchers affamés de grand air. Ce fut le cas de
Marantha Waters et d’Elise Lester, héroïnes féminines de ce récit. Et leur
réalité de prendre corps dans la fiction.
Nouvel
an 1888. Marantha Waters souffre de tuberculose. C’est dans l’espoir ultime d’une
guérison ou, à tout le moins, d’un apaisement de ses symptômes, qu’elle aspire
au souffle pur d’une nouvelle vie sur San Miguel. Elle y suit Will, son mari,
et emmène avec elle sa fille adoptive, Edith. Là, leur vie sera rythmée par la
tonte des moutons, la route à construire, les visites rares. Son univers confortable
sur le continent se mue en glissade vers le dénuement et la précarité. Maison délabrée,
vents redoutables, solitude croissante, revenus insuffisants. San Miguel, l’île
aux oiseaux sauvages, habitat de milliers de phoques et d’éléphants de mer, est
un enfer déguisé en paradis. Pour elle comme pour sa fille, l’île devient une
prison.
T.C.
Boyle décrit dans un mode réaliste classique cet environnement hostile et
oppressant, dans une succession d’événements aux abords anodins mais pourtant
cruciaux dans la vie quotidienne de ces êtres peu à peu "envahis"
par l’île, dégradés, affaiblis. Jusqu’au-boutisme, désespoir, émois
adolescents, manipulations, amertume. Les jours s’étirent et s’essoufflent et
le récit semble hélas prendre le même pli… Voilà pourtant qu’un renouveau
surgit avec, quelque quarante ans plus tard, l’arrivée enthousiaste d’Elise
Lester, jeune mariée de trente-huit ans quittant, elle aussi, son confort pour
une vie presqu’ascétique sur San Miguel. Herbie, son mari, vétéran énergique de
la première Grande Guerre, semble souffrir d’une forme modérée de
maniaco-dépression. Pleins d’espoir, ils donneront à l’île, eux aussi, une part
d’eux-mêmes avec bienveillance mais, malgré l’effervescence qui entoure ces
Robinsons modernes, malgré l’échappatoire aux tragédies des années quarante,
malgré la lumière de deux filles nées sur le tard, San Miguel sera encore la
plus forte.
Une
seconde partie plus dense, plus crédible, plus touchante. L’auteur se base donc
sur des faits réels pour aborder la confrontation de l’homme et de la nature,
cette symbiose tant désirée et parfois si délicate, si rude, voire impossible,
conduisant à la folie. San Miguel figure
un laboratoire d’êtres humains tentant de créer et maintenir un univers
restreint qu’ils voudraient à leur image. Royaume d’âmes en quête d’absolu, élégie
pour ces colons d’un monde à part, San
Miguel n’est peut-être pas, pour autant, cette "ode pastorale
grandiose" annoncée en quatrième de couverture. S’attachant à insérer
nombreuses références à des romans sentant le vent, l’humus, le drame et la
pierre humide (Emily Brontë, Virginia Woolf,…), Boyle sait où piocher pour
créer l’atmosphère. On garde pourtant un goût de trop peu entre les longueurs
et les pistes abandonnées, les visages de personnages secondaires esquissés en
cours de route. Trop et pas assez dans ce roman de 475 pages auquel on ne
reprochera pourtant pas une belle tentative d’immersion et de sensibilité.
Chronique par Virginie