ESSAIS : Semeur d'espoirs / Conscience & Environnement

Auteur : Rabhi
Editeurs : Actes Sud / Le Relié


Cela fait plus de quarante ans que Pierre Rabhi, agriculteur, philosophe, écrivain et conférencier français (d’origine algérienne*), travaille dans le "bio". Il est un des pionniers dans la lutte pour le maintien de ce type d’agriculture et le développement de pratiques agricoles accessibles à tous (notamment aux plus démunis). Depuis 1981, il transmet son savoir-faire dans les pays arides d'Afrique, en France et en Europe, cherchant à redonner leur autonomie alimentaire aux populations. Il est aujourd'hui reconnu expert international pour la sécurité alimentaire et a participé à l’élaboration de la Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification. 

Devant la condition générale de l'Humanité et les dommages considérables infligés à la Nature, il est aujourd'hui et globalement difficile de se montrer positifs. Rabhi dresse lui-même quelques constats très lucides et peu reluisants, mais le livre Semeur d’espoirs (recueil d’entretiens avec Olivier Le Naire, chez Actes Sud, 2013) porte toutefois bien son titre. A la question si les grandes valeurs humanistes sont en péril, il répond :

"Elles restent sous-jacentes, toujours présentes dans les esprits et dans les coeurs humanistes, même s’il reste beaucoup de Terminators pour penser qu’en gagnant de l’argent ils vont dominer le monde, ce qui n’est d’ailleurs pas faux. Mais que domineront-ils demain ? Un champ de ruines ? Comme chacun d’entre nous, ils mourront. Ils entretiennent ces illusions de puissance pour conjurer leurs peurs. Même parmi eux existent des consciences généreuses qui ont le souci du monde et des autres, qui vivent une intense contradiction. Alors méfions-nous des jugements outranciers. Une espérance indestructible résonne dans tant de coeurs ! Sans cela, j’aurais démissionné depuis bien longtemps."

Dans ses ouvrages et ses conférences, Pierre Rabhi en appelle à une "insurrection des consciences", à sortir du mythe de la croissance indéfinie, pour fédérer ce que l'humanité a de meilleur. Dans le livre-CD Conscience et Environnement (nouvelle édition au Relié, 2014), il s’exprime ainsi :

"Finalement, je me suis rendu compte que l’objectif s’est déplacé. On peut manger bio tant qu’on voudra, recycler son eau, se chauffer solaire, et exploiter son prochain, cela n’est pas incompatible. Si les hommes ne changent pas, l’agriculture biologique ne changera pas grand chose.

Le problème n’est pas de changer notre organisation matérielle, nos structures ou nos outils. Ce qui sauvera l’humanité, c’est une conscience. Il faut que chaque être humain prenne conscience de ses responsabilités et assume sa citoyenneté. L’acte d’acheter, par exemple, est loin d’être anodin : il a plus de portée et d’influence qu’un bulletin de vote dans l’urne. Acheter en conscience aide à faire évoluer le système social dans un sens ou dans l’autre.

Je suis souvent frappé par la contradiction qu’il y a, chez bon nombre de personnes, entre le désir d’une société conviviale et humaine (avec ses paysans, ses artisans, ses petits commerçants) et leur soumission quotidienne aux monopoles qui nient et détruisent cette convivialité par leur totalitarisme marchand. Avec ces considérations sur la citoyenneté, je ne prône absolument pas le non-vote, mais tente de donner à celui-ci un prolongement dans les choix au quotidien, sans quoi il n’est qu’une délégation ambiguë et irresponsable."

Aux choix de consommation ou de non-consommation de certains produits ou services, l’auteur insiste aussi sur d’autres pistes de cette nouvelle éthique de vie qu’il nomme "la sobriété heureuse", dans la sphère familiale, éducative, sociale, spirituelle, culturelle, professionnelle… Tant de revirements à effectuer de toute urgence, oui, mais autant de graines d’espoirs et de petits objectifs réalistes pour mieux être et mieux agir, à notre niveau… comme ce colibri de la légende amérindienne qui "fait sa part" dans l'extinction d'un feu de forêt, catastrophe qui ne prend fin que lorsque les autres animaux se décident enfin à prendre exemple sur le petit oiseau. 

Les mots clairs et sages, la sincérité désarmante et la foi en l'Humain sont autant de forces simples qui font de la parole et des livres de Pierre Rabhi un relai efficace de grandes voix passées trop souvent ignorées, comme celles - selon lui - des américains Henry Fairfield Osborn (1857-1935) et Ivan Illitch (1926-2002). 

A lire absolument, pour se libérer de cette chape ambiante de morosité, de déni, de destruction de l'environnement, d’individualisme, de fatalisme, de concurrence effrénée, de manque de coopération... et s'éveiller au véritable potentiel de la Vie ! 

Chronique par Joachim

* Quelques étapes biographiques de sa vie :

1938 : Fils d’un forgeron du sud algérien, Pierre Rabhi est confié à l’âge de 5 ans, après le décès de sa mère, à un couple d’Européens. Il reçoit une éducation française tout en conservant l’héritage de sa culture d’origine.

1960 : La guerre d’Algérie accentue le clivage. Il est alors ouvrier dans une entreprise parisienne et met en cause les valeurs de compétition de la modernité. Avec sa femme Michèle, une parisienne, il quitte la capitale pour s’installer en Ardèche. Ouvrier agricole, il récuse déjà fortement la logique productiviste appliquée à l’agriculture dont les conséquences dévastatrices révèlent aujourd’hui leur ampleur.

1972 : Après avoir fait la découverte de l’agriculture biologique et écologique, il applique avec succès ces méthodes sur sa petite ferme, dans l’agriculture et l’élevage, sur cette terre aride et rocailleuse où grandiront leurs cinq enfants.

1978 : Pierre Rabhi est chargé de formation à l'agro-écologie par le CEFRA (Centre d'études et de formation rurales appliquées)

A partir de 1981, il commence à transmettre son expérience agroécologique et met au point divers programmes de formation en France, en Europe et en Afrique. Sur l’invitation du Burkina Faso, Pierre Rabhi organise le premier programme d’agroécologie qu’il propose comme alternative aux paysans confrontés au marasme écologique (sécheresses) et économique (cherté des engrais et pesticides). Il fonde en collaboration avec l’association du Point Mulhouse le premier Centre africain de Formation à l’Agroécologie.

1985 : Création du centre de formation à l'agro-écologie de Gorom Gorom, avec l'appui de l'association "Le Point-Mulhouse".

1988 : Pierre Rabhi est reconnu comme expert international pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la désertification, comprise comme tout processus qui porte atteinte à l’intégrité et à la vitalité de la biosphère, et ses conséquences humaines. Il participe à des programmes d’échelle mondiale y compris sous l’égide des Nations-Unies.

1989 : Fondation du Carrefour International d’Echanges et de Pratiques Appliquées au Développement (CIEPAD) avec l'appui du Conseil général de l'Hérault : mise en place d'un " module optimisé d'installation agricole ", de programmes de sensibilisation et de formation, lancement de nombreuses actions de développement à l'étranger (Maroc, Palestine, Algérie, Tunisie, Sénégal, Togo, Bénin, Mauritanie, Pologne, Ukraine...)

1992 : Lancement du programme de réhabilitation de l'oasis de Chenini-Gabès en Tunisie.

1997-98 :  Pierre Rabhi intervient à la demande de l'ONU dans le cadre de l'élaboration de la Convention de lutte contre la désertification (CCD) et est appelé à formuler des propositions concrètes pour son application.

1999-2000 : Création de l'association Terre et Humanisme pour la transmission de l'éthique et de la pratique agroécologique. Installation au Mas de Beaulieu en Ardèche comme base logistique des activités et lieu de démonstration, d'expérimentation et de formation. Lancement de nouvelles actions de développement au Niger (région d'Agadez), au Mali (région de Gao) et au Maroc (Kermet BenSalem, Dar Bouaza, Taroudant).

2002 : Encouragé par de nombreux amis, Pierre Rabhi se lance dans une campagne éléctorale "non conventionnelle" en proposant de replacer l'Homme et la Nature au coeur de la logique. Sa campagne a, en très peu de temps ,suscité une mobilisation exceptionnelle, récolté la signature de nombreux élus et donné naissance à plus de 80 comités départementaux de soutien: les colibris.

2004 : Naissance du projet de création d'un centre agroécologique à la Roche / Grâne dans la Drôme, lieu d'accueil, d'hébergement et de pédagogie voué à l'écologie et porteur des valeurs de Terre et Humanisme de sa conception à sa gestion.

2007 : Lancement du Mouvement Colibris, qui a pour mission d’Inspirer, Relier et Soutenir tous ceux qui participent à construire un nouveau projet de société. Il coopère avec l’ensemble des ces structures : Terre et Humanisme, Hameau du Buis, Les Amanins, L’école du Colibri, La ferme des enfants, Oasis en tout lieux, la Fondation Pierre Rabhi