"L’écriture, c’est comme la marche.
Marcher, c’est très facile.
On met le pied en avant, notre centre de gravité reste
toujours entre nos deux jambes, c’est un acte prudent, qui procède avant tout
du présent. Ce qu’explique Bachelard, au sujet de la course, c’est qu’elle
relève d’un acte de foi. Afin de passer de l’état de marche à l’action de
courir, l’homme doit se jeter en avant. Son poids est propulsé devant ses
jambes et, de façon physique et objective, il devient un corps qui tombe. A ce
moment, il projette la jambe en avant et ne se casse pas la figure, et puis il
recommence à la foulée suivante.
Ca signifie que la course repose sur ce postulat simple : si je me laisse
tomber en avant je ne vais pas me ramasser la figure.
La foi, ça n’est rien d’autre.
C’est, en considérant ce qu’on sait des lois physiques du réel, accepter de se
mettre en chute libre. Ca veut dire qu’on est capable de se projeter dans une
action même si son résultat est un peu incertain. Ecrire, c’est ça. (…) C’est un processus organique. Même si je le prends en allant d’un mot à
l’autre, l’ensemble va forcément ressembler à quelque chose. Il y a un
personnage, il a sa voix. Il fait des choses. On croit qu’il fait n’importe
quoi. Et une page, très longtemps après, nous enseigne que ce bonhomme avait
une voix très importante pour nous, nous auteur et nous lecteur. Et que cette
voix avait quelque chose à régler. Et dès que c’est réglé, le livre est fini.
(…) Il y a une multitude de voix qui piaillent sans cesse dans l’esprit. Mon
métier ne consiste pas à les faire parler. Elles causent très bien toutes
seules. Ce que je dois faire, c’est de les écouter, de les classer et en
dernière analyse de les incarner chacune dans une forme satisfaisante qui leur
permettra de résoudre leur petit souci."
Extrait de l'excellent recueil d'Entretiens
avec Joann Sfar, par Thierry Groensteen, aux Impressions Nouvelles (paru en 2013). Une lecture recommandée, tant aux aficionados de Sfar qu'à ceux qui aiment découvrir différentes approches créatives.