Une fois de plus, Brüno (Inner City Blues, Biotope, Junk...) démontre qu'il est brillant dans la mise en scène,
avec des cadrages hyper efficaces. En revanche, son dessin perd
progressivement le charme d'une patine psyché-sixties pour s'orienter
vers une ligne un chouïa plus réaliste et classique.
J'ai même un peu
pensé à du Philippe Berthet, le célèbre dessinateur de Sur la route de
Selma ou Pin-Up... sauf en matière de physionomie féminine, assez ratée
ici.
Au vu de la production de Fabien Nury (W.E.S.T., Il était une fois en
France, XIII Mystery, etc.), ce scénariste semble rêver de 7e art à
grand spectacle et s'arrange pour s'accocier avec des dessinateurs ayant
un grand sens du découpage cinématographique. Il va même truffer le
présent album de références à quelques films (Les Professionnels,
L'empereur du Nord) et romans (American Tabloïd de James Ellroy, Le
soleil qui s'éteint de Robin Cook) qui l'ont marqué.
Avec Tyler Cross, les deux compères signent un one-shot très
"western", dans un contexte des années '50. Le protagoniste, qui donne
son nom au titre, est un gangster qui espère pouvoir reporter le plus
loin possible son exil par delà les eaux du Rio Bravo, cette frontière
naturelle entre les USA et le Mexique. Il vient cependant de dérober 17
kilos d'héroïne pure appartenant à la mafia, avant de s'enfuir, assez
démuni, dans les paysages arides du Texas. Les ennuis ne vont pas se
résoudre en arrivant à Black Rock, un bled paumé complètement régi par
un magnat du pétrole et ses fils, occupant chacun un poste clé dans les
instances de la ville. Tyler Cross fera l'erreur de sous-estimer ces
"péquenauds".
Une histoire de 90 pages bourrées d'action, de durs à cuire
avec des pétoires, du sang qui gicle, des têtes qui explosent et la jolie
nénette à sauver au passage. Histoire amorale, non seulement par son
nihilisme, mais par son machisme le plus complet : molester une femme la
rendrait même rapidement collaborative, voire séduite par la brute au
sang froid qui sert de "héros". Il faut dire que la fille vient
de connaître des humiliations bien pires... mais est-ce une excuse pour négliger la psychologie féminine et la logique (à différencier de la crédibilité) dans un scénario ? On pense inévitablement à Torpedo, sauf que chez Bernet et Abuli, le second degré est beaucoup plus perceptible.
Tout le potentiel de l'association Brüno-Nury, une mise en scène
remarquable et les couleurs judicieusement sobres de Laurence Croix ne
parviennent pas à sauver cet album d'une grosse déception - en ce qui me concerne - et d'un dénouement vain.
Chronique par Jean Alinea