ESSAI : L'effroyable imposture du rap


Auteur : Cardet
Editeur : Editions Blanche


L'auteur prône sa légitimité d'avis par le fait d'être lui même un ex-inconditionnel de rap. Il débute donc son pamphlet à charge par "l'histoire du rap racontée aux enfants", l'officielle, celle qui lui a fait croire et qui continue à faire croire à toute une génération que cette musique est symbole de contestation et de contre-culture. Par une démonstration assez probante (bien qu'elliptique et peu passionnante), Mathias Cardet passe en revue la politique américaine des années 1960, l'univers des ghettos, les Black Panthers, la mafia, le cinéma de la blaxploitation, etc. etc. On découvre en effet que les origines ne seraient pas tout à fait celles que l'on croyait.

En se renseignant un peu plus loin que ses contemporains sur l'historique et en resituant quelques albums phares dans leur contexte, Cardet s'offre une crédibilité pour faire passer une théorie toute personnelle... qui sera largement médiatisée mais aussi fortement critiquée (notamment par Les Inrockuptibles, qui, plutôt que de faire avancer le débat constructivement, s'attarde à diffamer un Cardet sorti d'on ne sait-où et publié dans la collection du très contestable Alain Soral).

Il faut dire que L'effroyable imposture... n'y va pas de main morte en mettant sur le dos du genre musical une part importante des problèmes rencontrés dans les banlieues urbaines.

"Le message du rap se voit dès le départ emprisonné dans une quête de consommation joyeuse (rap commercial) ou triste (rap indé), au point de finir par humaniser la marchandise (voire l'inverse). (...) Le but étant de devenir des bourgeois capitalistes de type Puff Daddy ; une nouvelle classe de consommateurs : "le bourgeoisard". Ringardisant fatalement des vertus telles que la sociabilité ou la solidarité populaire car non disponibles à la FNAC, alors qu'elles font partie des derniers remparts contre la société d'accumulation. Comme si l'insatisfaction institutionnalisée était inscrite dans le cahier de charges du rap code. Insatisafaction ouvrant la brèche à la frustration et au mal-être du banlieusard (victime non expiatoire du rap), se manifestant en général par une fureur sourde et non constructive car baignant dans une idéologie de la possession où l'objet est déifié (culte de la montre, de la chaîne en or qui brille, de la grosse caisse, du flingue) au détriment de l'être."

En dernière partie du bouquin, on lit même que "allié de l'idéologie marchande, manipulant l'émotivité, détournant les colères légitimes tout en s'immisçant au plus profond de l'intime : le rap peut au final être considéré comme un subtil viol vocal et auditif. (...) Une distraction nocive se drapant dans les habits de la réflexion sociétale mais en abordant les problèmes socio-économiques de manière creuse et démagogique."

Clôturant par le constat dépité que le "junkonsommateur" se croit guérillero en allant se fournir en armes chez le responsable de sa révolte et que "consommer du rap tue", l'auteur précise toutefois en postface le parti pris de ne s'être attardé que sur les impostures du rap et qu'il garde de l'estime pour quelques rares artistes du genre.

Un ouvrage choc à ne pas prendre comme unique source de réflexion, mais qui a sa place dans le débat.

Chronique par Joachim
Images : D.R.
La dernière est extraite du clip très controversé de Tip Drill par le rappeur américain Nelly (2003).