ROMAN : Continents à la dérive

Auteur : Russell Banks 
Editeur : Actes Sud



S’il fallait trouver une couleur à ce roman, ce serait peut-être ce bleu nuit où percent difficilement les étoiles que nous cherchons dans un grand effort d’œil plissé. Ces fines lueurs lointaines auxquelles s’accrocher, auxquelles associer un espoir de beau lendemain qui, enfin, aurait du sens. 

La vie de Bob Dubois et la vie des haïtiens Claude et Vanise sont ces microscopiques destins portés par une force qui les dépasse. 

Bob, ce brave chauffagiste de Catamount, New Hampshire : une petite maison, une femme, deux gosses, une maîtresse occasionnelle sans exigence. La sécurité qui un jour ressemble à de l’absurdité, de l’étouffement. La fuite vers le Sud, vers un rêve de réussite. Et la réalité, progressive, insidieuse, sauvage. 


Claude et sa tante Vanise, pauvres, en survie, terreau d’un Haïti de soumission et d’inégalités. L’insécurité qui un jour ressemble à de l’absurdité, de l’étouffement. La fuite vers le Nord, vers un rêve de réussite. Et la réalité, progressive, insidieuse, sauvage. 



Ces deux univers, que l’imperceptible mouvement des continents à la dérive entraîne l’un vers l’autre, sont décrits avec une maîtrise incroyable. Russell Banks crée la plus infime parcelle du mécanisme psychologique de ses personnages avec une justesse saisissante. Crédibilité dans les contrastes, cohérence, mouvement global et ligne conductrice dans ce roman sont une vraie réussite. Si les passages plus "documentaires" liés à la culture haïtienne sont parfois fastidieux (croyances et rites Vaudous, langage créole,…), ils n’en sont pas moins riches d’une connaissance approfondie de ce peuple surprenant, éclairant un fonctionnement qui nous serait plus hermétique sinon. 

Ces personnages immatures et naïfs, toujours victimes d’êtres parfois encore plus égarés qu’eux, Russell Banks nous les offre en sacrifice d’une société qui voit le rêve américain s’effondrer sans jamais vouloir se rendre à cette évidence. Que ce rêve soit nourri de l’intérieur ou de l’extérieur, il demeure un tableau magistral, abstrait et inatteignable. Continents à la dérive est une chronique de l’effondrement, des mauvais choix et, aussi, du désespoir. 

L’auteur, d’une clairvoyance et d’une lucidité prodigieuses, nous bouleverse en nous offrant ce récit d’individus qu’il ne serait pas difficile d’étendre à l’échelle du monde. On lui pardonnera sans doute de nous flanquer un sacré blues avec ce bouquin, surtout à la lecture des dernières pages. On l’aura bien cherché, après tout…

Chronique par Virginie