Editeur : Casterman (KSTR)
D’emblée, une claque graphique !
Nouvelle venue dans la bande dessinée, Audrey Spiry met à profit son expérience du monde de l’infographie et de l’animation en proposant un dessin numérique et des cadrages très dynamiques. Mais consciemment ou non, cette dessinatrice réussit aussi brillamment une synthèse d’influences issues de l’Histoire de l’Art : il y a du Gauguin et du fauvisme dans cette palette de couleurs très vives ou de l’expressionnisme et du Francis Bacon dans les figures déformées.
Et à part un beau dessin ? En toute franchise, je me suis demandé si ce bouquin allait raconter quelque chose d’intéressant durant le premier tiers. J’avais l’impression de lire une simple transposition d’une vidéo de vacances groupées, dépaysantes et sportives : quelques stress et émerveillements propres au canyoning, des situations qui ne font pas démarrer d’intrigue, des dialogues banalement réalistes, quasiment pas d’ellipses (au contraire, même : des décompositions de mouvements, d’attitudes) et cette narratrice, Juliette, en manque d’attentions de son compagnon mais qui ne lui communique pas son malaise. Rien de bien folichon.
Sauf que progressivement et mine de rien, on entre de plus en plus dans l’introspection de l’héroïne et cela grâce à un autre protagoniste, qui vole la vedette à tous les autres personnages : l’eau. L’élément aquatique captive, tantôt menaçant et potentiellement mortel, tantôt sensuel et protecteur. Il semble retenir Juliette à l’écart du groupe et lui fait vivre une série de sensations fortes, intimes, métaphoriques. Le traitement graphique est ici tellement puissant qu’il parvient à nous faire partager ces sensations.
La trame de l’histoire reste mince jusqu’au bout, se résumant à un questionnement assez commun d’une jeune femme sur la notion de couple et l’envie de créer une famille. Bref, vous ne trouverez pas ici de réflexion en profondeur sur le sens d’une démarche nataliste dans une époque aux enjeux démographiques graves. Par contre, pour l’expérience inédite de lecture qu’il procure, ce roman graphique en vaut la chandelle !.
Chronique par Jean Alinea
P.S. : on déplorera encore une fois l'économie - impardonnable pour un grand éditeur - d'un relecteur professionnel et consciencieux. "Tu t'en ai sorti comme un chef !" (page 58), ça me fait non seulement mal aux yeux mais aussi de la peine pour l'image de la bande dessinée à l'heure de sa reconnaissance institutionnelle.