Editeur : Les Contrebandiers
Tout d’abord, notons qu’avec sa couverture imprimée sur papier aquarelle et son grand format, le livre est beau… mais cette forme soignée rend d’autant plus surprenant le fait que l’éditeur ait fait l’impasse sur la relecture. Edmond Baudoin ayant en effet retapé du texte du roman de Bénédicte Heim à la machine, réécrit des parties à la main, laissant des ratures… mais en n’étant pas infaillible en orthographe.
Très dommage de voir tant de fautes laissées, mais ne nous arrêtons pas à cela : on prétextera que cela confère à l’ouvrage un côté "carnet", sans aucune restriction de spontanéité.
Aude est une jeune femme, étudiante en philo, en plein désarroi existentiel.
Corentin est un gamin de neuf ans qui préoccupe beaucoup ses parents par sa précocité et une difficulté d’adaptation.
Quand elle sera appelée à le rencontrer pour s’en occuper quelques heures par semaine, le coup de foudre sera fulgurant et réciproque. Aude cherchera à substituer le manque dévorant du prochain rendez-vous et le vertige de l’incompréhensible par des ébats sexuels virulents avec un inconnu. Elle laissera à l’abandon sa thèse et aller à vau-l’eau son couple. Demeure un gigantesque désir sensuel et fusionnel avec l’enfant.
D’abord paru sous forme de roman (en 2003, chez le même éditeur) donc, Tu ne mourras pas propose une trame simplissime mais où tout se joue dans la psychologie des personnages, sans rien esquiver du caractère tabou de leur relation.
Edmond Baudoin, le dessinateur bien connu, et Bénédicte Heim, la jeune écrivain, éprouvent une admiration mutuelle qui leur fait dire: "La façon dont elle utilise les mots, dont courent les points, les phrases longues, les phrases courtes, lui permettent d’aller au plus près de l’impalpable." et "Son dessin et mon écriture se rejoignent par une conviction que la beauté, la sensualité ne vont pas sans une quête de transcendance et de sacré."
Une lecture dont on ne ressort pas neutre, indéniablement, puisqu’elle traite d’une forme de pédophilie – aussi illusionnée et consentante soit la manière dont c’est présenté. Si ce livre avait raconté la même histoire, mais en inversant les sexes, auteurs et éditeur seraient probablement déjà devant la Cour de Justice.
Graphiquement, on retrouve du Baudoin plus habituel, avec sa maîtrise parfaite du noir et blanc… mais n’osant pas se substituer aux mots de l’écrivain. Par pudeur, par galanterie ou par humilité, il ne parvient pas à faire un réel travail d’adaptation, de réappropriation de ce récit, tandis qu’à l’inverse, sa version du conte Peau d’âne (chez Gallimard) lui avait permis de renouveler sa narration et d’utiliser une belle palette de couleurs qui lui était inhabituelle.
Même si on le sent totalement imprégné par ce roman qui l’a touché, son choix de maintenir des pavés d’écrits écrase considérablement l’impact du dessin.
Réussir la transposition en bande dessinée aurait nécessité davantage de non-dits, d’intensité de postures et d’expressions. De plus, si Bénédicte Heim a, par sa plume, le pouvoir d’évoquer les sentiments intimes avec force, son récit n’est pas exempt de passages inadéquatement emphatiques, qui auraient pu donner à Baudoin l’opportunité de les remplacer par de magnifiques séquences visuelles.
Et pour finir, il est surprenant que le dessinateur ait conservé certaines longueurs, mais n’ait pas traité l'épilogue du roman.
A ne pas mettre entre toutes les mains, Tu ne mourras pas peut susciter le débat.
Chronique collective de la rédaction Asteline