Omni-visibilis

Auteurs : Trondheim et Bonhomme
Editeur : Dupuis


Il s'appelle Hervé. C'est un employé de bureau tout ce qu'il y a de banal, avec ses grosses lunettes, sa petite moustache et sa petite amie absente pour cause de carrière cinématographique possible. Seul signe distinctif : une phobie des microbes digne de Howard Hughes. Banal, quoi. Jusqu'au jour où sa banalité devient une référence universelle. Un beau matin, tous les habitants de la planète se mettent à ressentir la même chose que lui. Chacun goûte, voit (en fermant les yeux), sent à travers ses sensations. Du coup chacun veut le voir, faire passer un message, faire connaître son existence au monde entier à travers ses yeux. Tous les gouvernements veulent se l'approprier, toutes les mafias veulent le rançonner. Et Hervé, lui qui a horreur de la foule, n'a plus un endroit au monde où se cacher.

Lewis Trondheim est arrivé au succès phénoménal qu'on lui connaît à travers des scénarios d'une inventivité due en grande partie à une "technique" d'improvisation contrôlée (relisez les premiers Lapinot). Puis il y a eu ce passage à vide, cette crampe de l'imagination qui le laissa inerte pendant longtemps (et qu'il analyse dans l'album Désoeuvré).

Trondheim en est sorti, mais différent. Au lieu des quatre ou cinq productions par an, il sort maintenant des albums à un rythme "raisonnable".
Ses scénarios sont également beaucoup plus construits. Récurrents aussi : le thème fantastico-science-fictionnesque de Omni-visibilis n'est pas très éloigné de celui de Top ouf, le dernier album en date des Formidables aventures sans Lapinot (dans les deux cas, un individu "normal" déclenche une hystérie collective en influençant massivement les autres).

Omni-visibilis possède néanmoins un charme particulier. Peut-être est-ce dû à l'habitude, voire la lassitude de la qualité que nous avons prise à force de voir les remarquables scénarios de Trondheim portés par son dessin approximatif, mais quelque chose de neuf se passe dans cet album-ci : le réalisme.

Trondheim a eu l'excellente idée de "donner" son scénario à Matthieu Bonhomme dont le dessin parfait, à la fois dynamique, expressif et limpide, nous rend les personnages beaucoup plus proches que si Trondheim avait dessiné lui-même cette histoire. L'identification avec le protagoniste marche à plein rendement, aidée par des séquences subjectives récurrentes. Mélangeant un suspense digne des meilleures courses-poursuites et un humour décapant, cet album se lit comme on regarde un thriller au cinéma. Il ne serait d'ailleurs pas étonnant du tout d'en voir prochainement l'adaptation au grand écran.

Chronique par Geoffroy d'Ursel