BD : L'espion de Staline

Auteur : Isabel Kreitz
Editeur : Casterman




Tokyo, 1941. Le journaliste Richard Sorge est dans les confidences de l'Ambassadeur allemand au Japon. Il est également, en secret, membre du Parti Communiste et espion à la solde de Staline.


Q
uand son "ami" l'Ambassadeur lui parle, sous le sceau de la confidence, du plan Barbarossa (l'invasion de l'URSS par les troupes allemandes), Sorge en avertit immédiatement Moscou. Trop confiant, Staline n'écoutera pas l'avertissement, avec les résultats que l'on sait : l'avancée foudroyante des troupes allemandes jusqu'à Stalingrad.


Sorge ne reste pas inactif pour autant. Il avertit Staline que le Japon n'envisage pas d'attaquer la Sibérie, comme le souhaite Hitler, mais plutôt les Etats-Unis. Cette fois, Staline écoute son espion et profite de l'information pour se concentrer sur le front de l'Ouest au lieu de diviser ses troupes. Richard Sorge a bel et bien changé le cours de l'Histoire.

L'Allemagne n'est pas un terrain très propice à la bande dessinée, qui y est encore considérée comme une activité anecdotique, essentiellement réservée aux enfants. Un passionné comme Andreas, par exemple, a dû s'exiler à Bruxelles pour y apprendre la bande dessinée (à Saint-Luc, puis sous la férule plus pratique d'Eddy Paape) et être pris au sérieux. Sans doute la BD est-elle en train d'acquérir ses lettres de noblesses outre-Rhin, mais nous sommes loin des passions qu'elle suscite dans l'espace franco-belge.

Ce manque de culture bédéphilique se ressent un peu dans l'art de la dessinatrice Isabel Kreitz. L'album, au premier coup d'oil, semble confus : le dessin un peu trop touffu aurait gagné à se montrer plus elliptique.

A la lecture, ces inconvénients disparaissent au fur et à mesure que nous plongeons dans l'action, même si "action" est un bien grand mot : l'essentiel des péripéties est psychologique. Pour faire revivre ce personnage historique qu'est Richard Sorge, Isabel Kreitz s'est basée sur une documentation abondante et les témoignages de tous les survivants de l'affaire. Plus nous avançons dans l'album, plus nous nous attachons à Sorge, séducteur alcoolique et espion téméraire. La profondeur des personnages secondaires renforce l'intérêt, comme cette pianiste qui a dû fuir l'Allemagne pour avoir aidé une élève juive, ou même l'Ambassadeur, tiraillé entre ses penchants antinazis et ses ambitions professionnelles.

Isabel Kreitz a donc réussi le pari difficile de rendre passionnante une étude psychologico-historique de haut vol en la transformant en un drame humain poignant.

Chronique par Geoffroy d’Ursel