Editeur : Dupuis
Surfant sur la mode des "romans graphiques", la collection Aire Libre inaugure une sous-collection intitulée "Roman Aire Libre" et y propose le Prosopopus de Nicolas de Crécy au format 17x24, sur papier mat Munken. A première vue, ça donne une nouvelle classe formelle à ce livre, originellement paru en 2003, en grand format cartonné. Prosopopus offrait l’avantage d’être un récit entièrement muet, ce qui évite l’écueil de ces éditions miniatures où le lecteur perd un confort de lecture avec des textes minuscules. Cependant, dire que la transposition ne provoque aucun inconvénient serait erroné. Les yeux devront redoubler d’attention dans la succession de mini-cases vers la fin du récit.
Prosopopus, c’est une espèce de monstre rondouillard, souriant, lumineux, grotesque, s’immiscant dans une intrigue polar urbaine, latino et très noire, et semblant même en tirer les ficelles. L’effet de surprise vient cette fois de ce mélange de style dessin animé pour enfants et d’un traitement graphique plus réaliste qu’à l’accoutumée. Il en résulte une atmosphère dérangeante, avec un intéressant travail de couleurs numériques (auquel l’auteur s’était déjà essayé pour le Bibendum T.3). La clarté de la narration est par contre quelquefois inégale. Quant au scénario…
On sait que la signature de De Crécy offre d’emblée un certain prestige, une certaine crédibilité à un ouvrage, à une collection. Or, s’il est indéniable qu’il est un génie du dessin, la carte blanche scénaristique que ses éditeurs lui tendent donne rarement droit à des histoires à la hauteur de ses ambitions. La folie baroque et improvisée de Foligatto ou des deux premiers Bibendum Céleste avait le bénéfice de détoner à l’époque de leur parution. De Crécy fourmille d’idées excellentes, mais sa fréquente incapacité à fournir des dénouements cohérents et appréciables peut finir par lasser. On le préférait aux côtés de son comparse Sylvain Chomet (qui lui écrivit les excellents Léon la Came) ou dans un registre plus léger et amusant (Monsieur Fruit ou Salvatore).
Chronique par Jean Alinea
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