BD : Saint-Germain, puis rouler vers l’ouest!

Auteur : Bruno Le Floc’h
Editeur : Dargaud




U
n musicien de jazz s’extrait des caves enfumées de Saint-Germain en jouant de son saxophone. Hélas, son amour immodéré de la musique le détourne trop souvent de la belle Mary, qui l’attend seule à l’appartement. Puis la goutte, ou la note de trop. Et la jeune anglaise, qui a trop attendu, disparaît. S’ensuit un périple où le musicien file à l’ouest à bord de sa décapotable, à la recherche de sa belle qui est supposée s’être réfugiée à Dinard.
Sur la route, le saxophoniste croise Maritie, Marie ou encore Marig, autant de déclinaisons de sa Mary qui l’emmènent dans leurs brefs délires de femmes libres qui ne le sont peut-être qu’un court instant.
A chaque fois, le musicien se laisse guider même si c’est lui qui conduit la décapotable. Et peut-être, un peu plus tard, Dinard et la Mary disparue.

Dès la couverture, on est fixés : Saint-Germain, puis rouler vers l’ouest ! est un album d’ambiances. Le scénario, charmant, sert de prétexte aux évocations. Les paroles des chansons de jazz s’égrènent à la radio de la voiture qui fonce sur la route. Les cases énormes s’emplissent de la blancheur du ciel, de la toile des tentes qui ondulent sur la plage, de la poussière des routes sur lesquelles file la décapotable en quête d’amour.

Alors oui, techniquement c’est très réussi. Les cases ont une beauté aérée indéniable qui évoque le temps qui passe, le hasard, les rencontres improbables qui font bifurquer les destinées. Et bien sûr, le rendu de la luminosité est parfois sidérant.

Cependant, dans les bandes dessinées d’"ambiance", soit on est transporté, soit on ne l’est pas. Soit on est bercé par le charme, soit on se demande à quoi sert un si bel objet. Personnellement, j’ai opté bien malgré moi pour la seconde possibilité.

Si on tente d’analyser, on pourrait dire qu’il y a dans l’album des contradictions qui finissent par avoir raison du charme.
Alors qu’on est censé être dans les années '60, on a l’impression d’être dans les années '80. Une fois sorti de Saint-Germain, où on ressent bien le charme enfumé du jazz, on pense à Etienne Daho, au Week-end à Rome, à toute la pop ensoleillée d’il y a 20 ans, malgré les paroles de crooners qui sortent de la radio. Allez savoir pourquoi… La volonté de ne pas dater clairement le récit laisse peut-être trop de champ à l’imagination du lecteur. En plus, au milieu de planches contemplatives, on a droit aux diverses rencontres féminines qui tranchent par leur brièveté et par la résolution définitive de chacune des donzelles croisées. Et le charme contemplatif se casse sans prolongement aucun dans des rencontres vite expédiées.

Alors oui, Saint-Germain, puis rouler vers l’ouest ! est un joli objet. Mais, à mon corps défendant, je laisse à d’autres lecteurs le soin d’en éprouver le charme…

Chronique par Yves