Alef-Thau : Intégrale vol. 1 / vol. 2

Auteurs : Arno et Jodorowsky
Editeur : Les Humanoïdes Associés



L’idée de base d’Alef-Thau est en soi toute une mythologie heroic-fantasy intéressante, imaginée à une époque où ce genre n’était pas encore légion. Comme héros, Jodorowsky nous propose un enfant-tronc, livré à lui-même, et qui retrouvera (et reperdra parfois aussi) ses membres au gré de sa quête initiatique. Dans ce monde entre conte et science-fiction, le moteur de l’amour devra faire place à celui de la haine.
 
Par contre, malgré cette grande originalité, la narration a très mal vieilli. On retrouve en effet beaucoup d’ellipses, du style "Cependant, dans tel endroit…" ou "Peu après.", se succédant à un rythme insupportable. A qui la faute ? A Alejandro Jodorowsky qui livrait à Arno l’histoire sous forme de cassettes audio ? Ou à Arno, qui ne maîtrisait peut-être pas encore un sens narratif très développé ? Lors de la parution d’Alef-Thau, dans les années ‘80, cela ne semblait visiblement pas heurter les lecteurs et la série remportait un joli succès commercial. Aujourd’hui par contre, elle serait certainement tombée dans l’oubli si l’auteur ne s’appelait pas Jodorowsky.
 
Même en mettant notre cartésianisme de côté, il est difficile d’adhérer pleinement à un récit contemporain dont les personnages se sortent des situations les plus périlleuses grâce à la providence, fût-elle magique. Ce type de "deus ex-machina", comme on appelle ça dans le métier, était très présent dans le théâtre grec et autres légendes, mais si on vénère les grands mythes antiques encore aujourd’hui, c’est davantage pour leurs explications imagées, métaphoriques, des tourments humains que pour leur structure scénaristique.
 
O
r, Jodorowsky a, dans son œuvre, souvent cherché à rejoindre cette ambition qu’avaient les récits ancestraux (voire "sacrés"). Avec dans ses bagages des influences comme Castaneda ou Jung, il y est même parvenu à sa manière, en réalisant des films hallucinants (El Topo et La Montagne Sacrée en tête) et en collaborant avec Moebius pour sa première grande série de bandes dessinées, L’Incal. Après ces chefs-d’œuvres, Alef-Thau ressemble à une expérimentation maladroite. Mais pour l’amateur de bandes dessinées,
de littérature et même d’art en général, une maladresse d’un grand auteur reste parfois digne d’intérêt. 
 
N
ous avons découvert la série en sens inverse, en commençant avec Le Monde d'Alef-Thau, le second cycle que Jodo vient d'entamer avec Nizzolli. Il nous semble nettement plus facile de commencer par là, le trait et les couleurs d’Arno étant beaucoup moins engageantes que celles de Nizzolli. D’autant que Le Monde d’Alef-Thau se lit en toute indépendance de sa série-mère.