ESSAI : Giono, Furioso

E
mmanuelle Lambert a déjà écrit plusieurs romans, et elle a des admirations, des adorations littéraires : Alain Robbe-Grillet, Jean Genet et donc Jean Giono. Elle a travaillé avec le premier et lui a consacré un livre, Mon Grand Ecrivain. Genet, son sujet de thèse, sera aussi celui d'un récit, Apparitions de Jean Genet, et, en 2016, elle sera le commissaire d'une exposition lui étant consacré au Mucem de Marseille. C'est en 2019 qu'en même temps elle écrit Giono, Furioso et prépare la grande exposition Giono toujours au Mucem qui célébrait le cinquantenaire de sa mort.

C
hez Emmanuelle Lambert, l'admiration peut paraître obsession, mais sans jamais virer à la bêtise aveugle, celle qui récuserait toute critique. Au contraire, elle tente d'embrasser toutes les facettes de l'homme et de l'écrivain. De lui on dit que c'est un solaire. Un amoureux des hommes, des bêtes et de la nature, aux jambes plantées droit dans la terre. On dit Giono sorcier de la langue, conteur, poète traversé de légendes comme on en racontait au pays lorsqu'il était enfant.
Mais aussi "Il faut le comprendre. Il a vu 14-18. Que pourrions-nous savoir, nous qui en sommes vierges ? Comment connaître la solitude de ceux qui ont regardé la Grande Guerre fixement ?"
 
Ainsi au fil des pages, comme pour l'exposition, l'écrivaine veut rendre intelligible le sujet Giono, mettre en ordre dans le désordre de l'écriture, les contradictions des déclarations, les images successives, les témoignages... Tracer une ligne ou un propos, offrir aux autres une vision et leur faire saisir le mouvement de la création, la beauté du style et la chair de l'homme qui a écrit.

Comme Genet, Giono était un autodidacte et elle remarque que chez ceux-ci leur langue ruisselle toujours de leur grande plongée dans les classiques. Elle s'enracine loin dans les bibliothèques idéales. Eux, n'ayant pas le loisir du snobisme, se nourrissent des plus grands, des géants et verront plus tard pour leur curiosité. 

P
eu à peu, se dessine le portrait impressionniste de celui qu'on a tendance à réduire à un être bonhomme, fumant la pipe, l'œil rieur, et adorant la nature. Giono était aussi un furioso, parfois anarchiste comme l'était son père, capable de violence verbale lorsqu'il défend la cause pacifiste ou lors de correspondances amoureuses Il est à la fois lyrique et brutal, veut la prendre, la garder, la soulever, remonter le long de son corps, se planter dans son ventre : toujours, se planter dans son ventre, l'image revient, obsédante... Giono ordonne et réclame.

De l'admiration donc, mais un regard critique, et sans jugement. Si vous connaissez et aimez Giono, vous adorerez "furiosement". Si comme elle, c'est au collège que vous avez lu pour la première fois Jean Giono, et que vous n'y avez strictement rien compris, c'est l'occasion grâce à ce lumineux éclairage de retenter votre chance !

Giono, Furioso a obtenu le Prix Femina Essai 2019.


Chronique par Reynald Riclet

Ce livre est désormais disponible au format poche chez Folio (Gallimard).