PHILO : Bonheur primitif de l'Homme

"J'ose croire, je puis me tromper, que le peuple qui adorait le soleil, n'était pas un peuple tout à fait insensé. Cet astre n'est-il pas l'âme mouvante de toutes choses ? Dieu ne l'a-t-il pas créé pour échausser et vivifier la terre ? N'est-il pas démontré que sans existence du soleil, rien ne serait animé ? Serait-il donc surprenant que les hommes qui adoraient le soleil, fussent plus purs, plus fidèles à leur culte que tous ces peuples différents qui suivent tant de Religions bizarres ? Ce Dieu se montre partout, à tous les hommes, et nul mortel ne peut l'éviter. Les temples sont fermés : la divinité que l'on cache est celle que le malfaiteur ne redoute pas. Il me semble que les croyants du soleil ne formaient pas de coupables desseins, sans qu'ils en fussent sur-le-champ détournés, sitôt qu'ils levaient les yeux au ciel. Je présume aussi, que s'il a été possible que dans cet heureux temps il se soit commis des forfaits, c'était dans les ténèbres et dans l'horreur de la nuit. Le crime alors n'osait se montrer au grand jour ; mais actuellement c'est en public et dans la société qu'il lève un front altier.
Cependant Rousseau ne distingue pas, pendant des siècles entiers, ces hommes des animaux. Il rapporte des faits connus des peuples sauvages, et il veut que tous les hommes des premiers temps aient agi et pensé comme les brutes, que leurs idées ne furent ni plus développées ni plus utiles."
Extrait du Bonheur primitif de l'Homme, ou les Rêveries patriotiques (avril 1789) par Olympe de Gouges (1748-1793), qui dénonça les inégalités et les barrières, tant économiques que sociales et politiques, à la veille de la Révolution française. Consciente du pouvoir des mots, elle livre - à travers brochures et affiches placardées - son combat : promouvoir les différentes formes de liberté, l'égalité entre les hommes et la mise en place d'une politique solidaire efficace. Ses missives adressées au Roi et à la Reine de France ne sont toutefois pas exemptes d'une certaine supplication aussi naïve que passionnée.

Le texte ci-dessus, ainsi que d'autres, sont réunis dans Lettre au peuple, un petit livre paru dans la collection Folio Sagesses de Gallimard. Inscrits dans le siècle des Lumières, ces plaidoyers annoncent les trois vertus cardinales que vantent encore la République d'aujourd'hui (même s'il y a de quoi être perplexe) : liberté, égalité et fraternité.