Lectures BD d'OCTOBRE 2018

"Je ne suis que la projection des pensées de ceux qui passent ici... Moi, j'y ai vu la nature, et toi, tu me vois moi, car c'est ce que tu désires plus que tout..."

Citation extraite de Negalyod, une grande fresque de science fiction en un seul (grand et épais) album sur fond de bouleversements climatiques. On y sent planer partout l'influence de Jean Giraud - Moebius, tant dans le trait que dans l'univers, qui mélange du western à la Blueberry que des décors grandioses dignes de l'époque Métal Hurlant ou des cités de l'Antiquité. On y voit aussi évoluer des dinosaures ou un vaisseau en insecte volant (une influence du manga Nausicaa de Miyazaki ?). Du grand spectacle, signé par Vincent Perriot et publié chez Casterman.


Chez le même éditeur, une autre bande dessinée de plus de 200 pages, mais moins denses, est Le chemisier, de Bastien Vivès. Extrait :

"Brillant. Voilà ce qu'on attend d'un commentaire ! Parties équilibrées, progression de la pensée. Elle ne nous bombarde pas d'une terminologie. Elle ne nous fait pas la liste des figures de style. Elle nous fait vivre le texte.Elle n'a pas non plus les yeux rivés sur ses notes. Elle connaît son sujet, elle sait où elle va. Très fin, tout en nuances."

Que vaut à ce professeur d'université d'être charmé à ce point par son étudiante, Séverine Armand ? Il n'est pas le seul : hormis le petit ami de celle-ci, qui a le nez dans nouvelles technologies, les jeux de rôles et le téléchargement des épisodes de sa série favorite, tous les hommes semblent avoir les yeux braqués sur cette jeune femme dès lors qu'elle enfile un chemisier qu'on vient de lui prêter (suite à un accident de babysitting). 

L'anti-héroïne est pourtant creuse et a un physique quelconque, mais ce vêtement semble avoir été taillé pour elle, lui conférant une séduction, une confiance nouvelle, le cran d'envoyer balader ce qui l'ennuie et d'expérimenter ce nouvel attrait qu'elle exerce sur la gent masculine. Une petite influence du Déclic de Manara ? Même si distillées en cours de ce récit minimaliste, on a en effet droit à quelques scènes "torrides"... dont une scène graveleuse d'un "bad boy" se masturbant sur la vitre de la voiture et émoustillant la demoiselle. S'en dégage une considération de la femme très "porno de base" qui peut interpeller, à l'heure des tentatives de sensibilisation sur le harcèlement de rue. 

Consciemment ou non, Bastien Vives pousse ici en tout cas jusqu'au bout une logique de publicitaire : un produit de consommation (le chemisier, dans ce cas-ci) qui offrirait la capacité d'affirmation d'une vacuité psychologique ; un sex-appeal de femme objetisée ; le passage aux actes et la réalisation d'un fantasme suggéré au début. 

On connaît et préfère cet auteur-dessinateur dans un registre beaucoup plus subtil, comme l'a démontré son Polina, dont le style graphique épuré et en valeur de gris était comparable (en mieux).