Jorge
Gonzales est un dessinateur argentin surdoué qui ne verse pas dans la
facilité : après Le Vagabond et surtout le magnifique Hate Jazz,
réalisés aux pastels de couleurs vives (des albums parus chez
Caravelle/Glénat au milieu des années 2000 et aujourd’hui
indisponibles), le dessinateur était passé à des planches plus
crayonnées, toujours époustouflantes (Bandoneon et Chère Patagonie aux
éditions Dupuis)…
avant d’opter pour une exécution carrément esquissée
dans Retour ou Kosovo (Dupuis) ou dans ce Maudit Allende. Il faut bien
admettre que l’esthétique “inachevée” est nettement plus hermétique,
d’autant qu’elle s’accompagne de tailles de cases et de procédés
narratifs variables, de plans et de teintes qui peuvent dérouter. Ne
passez pas trop vite à côté de cet album cependant : la grande maîtrise
et la justesse de ce traitement graphique très libre se dévoile à la
lecture, s’avérant en parfaite adéquation avec le récit du scénariste
(et journaliste) Olivier Bras.
Ici en l’occurence, il s’agit de
découvrir la tristement "grande" Histoire du Chili par la lorgnette de
la petite, celle d’un jeune homme nommé Leo, perplexe et méfiant face
aux opinions environnantes et à l’actualité tragique qui secoua son pays
en 1973 : le coup d’Etat - financé par la CIA - qui va conduire le
président socialiste Salvatore Allende à sa perte, au profit de la
dictature du général Augusto Pinochet.
Cette reconstitution
historique sous le regard d’un narrateur fictif s’avère poignante,
présente l’origine des destins croisés, sans parti pris idéologique…
tout en dressant des portraits sans concessions.
Austère de prime
abord, tout en nuances et émouvant finalement, voilà du grand roman
graphique qui remplit un "devoir de mémoire".
Chronique par Joachim