BD : Bob Morane Renaissance - T01 : Les terres rares

Auteurs : Brunschwig, Ducoudray, Armand 
Editeur : Le Lombard


Si les grands éditeurs de comics américains usent et abusent du filon des héros mythiques de leurs catalogues (Captain America, Hulk, Spider-Man ou Wolverine chez Marvel ; Batman, Superman ou Wonderwoman chez DC…), “pourquoi pas nous”, semblent se demander leurs équivalents européens ? A défaut de superhéros habillés de capes et de latex, le vieux continent possède en effet son lot de personnages attachants, aux valeurs boy-scout, humanistes ou résistantes, plus humbles et très courageux tout à la fois : d’Astérix à Thorgal, en passant par Tintin, Lucky Luke et bien d’autres qu’il est inutile de vous énumérer puisque vous les connaissez tous. Après le comeback de Corto Maltese (en octobre 2015), qui jouait la carte du mimétisme de l’œuvre originale, revoici Bob Morane... méconnaissable.


Tombé en désuétude sous la plume de son créateur, le romancier belge Henri Vernes, le nom du personnage - créé en 1953 - demeurait populaire, notamment grâce à une chanson indémodable du groupe pop-rock Indochine. Ne restait donc “plus qu’à” trouver un auteur et un dessinateur capables de redonner un coup de jeune à la série. Quand nous avons appris que le scénario allait être confié à Luc Brunschwig et Aurélien Ducoudray, il est évident que la barre de nos attentes était mise très haut. Trop haut, peut-être.

L’exercice de la reprise reste quelque chose d’extrêmement délicat. En bande dessinée, les auteurs ayant réussi un Spirou se comptent encore sur les doigts d’une main. Parmi quelques réussites passées, notons aussi les Clifton de Turk, Degroot et Bédu. Concernant Blake et Mortimer, ça se discute. Pour le reste, on reste généralement en-deçà de l’oeuvre originale… quand il ne s’agit pas de catastrophes artistiques complètes, comme en témoigne la “modernisation” de Bob et Bobette (l’album Amphoria aux éditions Paquet). Même chez les anglo-saxons, on ne peut pas dire que des reprises du niveau de The Dark Knight Returns (le Batman de Frank Miller) ou L’asile d’Arkham (celui de Grant Morrisson et Dave McKean) soient légion.
Avec Bob Morane Rennaissance, on reprend tout à zéro : contexte contemporain, avec la technologie de pointe, les enjeux économiques, politiques et militaires liés à l’exploitation des sols en Afrique… Bref, du documenté, du crédible… pour commencer. Le lieutenant Bob Morane a toujours une belle gueule, mais répondant davantage aux critères canoniques actuels. Son inséparable ami, le sergent Bill Ballantine est toujours roux mais se voit à présent transformé en colosse barbu. Tous deux entament cette aventure en fâcheuse posture puisqu’ils sont jugés pour insubordination, ayant impulsivement répondu à leur sens moral : alors qu’ils occupaient un poste de contrôle au Nigeria, ils sont en effet intervenus de manière armée pour limiter un carnage. Bill écopera sévèrement de six ans de prison ferme en Ecosse, pris en grippe par son propre colonel de père, puis par ses matons au quotidien. Bob bénéficiera quant à lui d’un traitement de faveur, puisqu’il sera gracié et invité à devenir le conseiller de Kanem Oussman, nouvel homme fort du Nigeria… à qui il avait sauvé la vie lors de l’événement pour lequel il comparaissait devant la Cour.

Dès 1992, Le Pouvoir des Innocents, la grande série écrite par Luc Brunschwig, dépassait en qualité la majorité des productions bédéphiles et cinématographiques des genres “thriller” et “politique-fiction”. Bob Morane Rennaissance semble démarrer dans la même veine, mêlant action, désarroi social, idéaux humanistes et considérations géopolitiques fouillées. Et sur ce dernier plan, on suppose que l’apport de Ducoudray (Békame, Clichés de Bosnie) n’est pas négligeable. Une démarche intelligente donc, au service d’une trame… qui pèche cependant par une recherche excessive de crédibilité, contrastant avec certaines invraisemblances psychologiques et d’action. La densité d’infos ne s’accommode pas trop bien de certains poncifs quasi “hollywoodiens” en matière de vie militaire et politique.

La narration, elle, est fluide. Sur le plan du dessin, on parlera davantage d’efficacité que d’originalité. On pourra déplorer certaines omissions (les cicatrices de la journaliste disparues quand elle porte une robe de soirée sexy) ainsi que l’usage d’habituels clichés en BD réaliste (toutes les jeunes femmes sont belles, aucun personnage bedonnant…).


Pari ambitieux que celui de faire des aventures de Bob Morane contre l’Ombre Jaune des récits complexes, mêlant questions de société et anticipation (légère). Vous l’aurez compris, l’introduction nous laisse toutefois un goût mitigé, n’ayant pas réussi à nous happer pleinement, mais tout dépendra de la suite… et tout est fait en dernière page pour que vous l’attendiez de pied ferme.

Chronique collective de la rédaction Asteline