BD : Mourir (ça n’existe pas)

Auteur : Rojzman
Editeur : La Boîte à Bulles


Il est des styles peu accessibles de prime abord, mais tellement singuliers et aptes à nous surprendre à chaque livre qu’on ne peut s’empêcher d'en redemander dès qu’on y a goûté. Théa Rojzman fait partie de cette catégorie de créateurs hors normes. 


Il n'y a pas que par sa patte graphique que l'artiste se distingue : ses récits reflètent, avec un savant mélange de légèreté et de gravité, des mal-êtres typiques de notre société, invitant le lecteur à éprouver davantage d’empathie et à poursuivre la réflexion. Théa Rojzman est fille d’un psychosociologue notoire, a travaillé elle-même dans le domaine thérapeutique et ses histoires s’en ressentent inévitablement. Rapports familiaux conflictuels, quête d’identité et de sens, marginalité, voilà des exemples de thèmes difficiles que l'auteure-dessinatrice aborde de front et avec justesse.

Après un magnifique intermède que constituait Chacun porte son ciel, recueil de poésie “sociale” illustrée, elle revient à la bande dessinée avec Mourir (ça n’existe pas). Un bel objet tout d’abord, avec une couverture cartonnée mate, sobre mais aux couleurs inhabituelles : une teinte sable (omniprésente dans le récit aussi) qui évoque la plage où l’anti-héros se dirigera pour se noyer ; quant au gris, il a beau être chaud, il parle à lui seul de dépression. L’horizon vide et le cadrage de l’arbre contribuent à donner un sentiment de cul-de-sac existentiel… que le titre nihiliste vient encore renforcer. Et c’est bien de ça dont il est question ici : le désarroi psychologique, les traumatismes d’enfance, la peur de la folie. Et tout ça sans déprimer le lecteur.

Ce sens accru de la cohérence, Théa Rojzman l’acquiert par l’expérience du métier, mais sans jamais perdre le côté très spontané de son graphisme. Elle joue toujours avec la suggestivité des taches de peinture comme s’il s’agissait d’un test de Rorschach, ainsi qu'avec la troublante expressivité des représentations enfantines. Pour la première fois, elle traite les scènes quotidiennes de ses personnages de manière plus "réaliste", créant un contraste d’autant plus fort avec l’expressionnisme, les distorsions des mondes imaginaires et les réminiscences à fortes charges émotionnelles. Sans parler des délires où s’invitent en “guest-stars” les frères Lumière. 

Si son autobiographique Carnet de rêves avait provoqué chez nous le choc d'une jubilatoire et inoubliable découverte, Mourir (ça n’existe pas) m'apparaît comme une étape bibliographique importante, une sorte de synthèse aboutie de son travail antérieur, tout en expérimentant une voie nouvelle… que je suis impatient de voir s’épanouir. Quand je vous disais qu’on ne peut s’empêcher d'en redemander dès qu’on y a goûté...

Chronique par Joachim Regout