BD : Klezmer : tomes 1 à 4

Auteur : Joann Sfar
Editeur : Gallimard

Ce qui parait évident à la lecture de ces quatre premiers tomes de la série Klezmer, c’est que Joann Sfar est passé maître dans l’art de la pérégrination. Il entame un voyage, au même titre que ses personnages, aventure semi-aléatoire où l’on croit savoir où l’on va… tout en se laissant surprendre de temps en temps par le chemin des écoliers.

Le premier tome, c’est un peu celui du rassemblement. Celui de solitudes qui croisent leurs chemins les unes les autres pour finalement former un groupe éclectique d’amis en errance, avec pour principal lien la musique. Le Baron, clarinettiste aigri par la mort de ses compagnons musiciens. Yaacov, élève juif sans histoire jusqu’à ce qu’un seul vol impulsif l’exclue de sa communauté et l’oblige à se trouver une nouvelle identité. Tchokola, le gitan aux gros muscles. Vincenzo, le "bon juif" timide et terrifié à l’idée de transgresser les règles de sa religion. Et puis, Hava, la belle, la voix, celle qui attise la convoitise plus ou moins déclarée du jeune Yaacov et celle, plus introvertie, du Baron. Unissant leurs forces pour survivre, les membres du groupe erreront au fil de leur propre mélodie, récoltant les pièces pour se nourrir, avançant toujours au gré des opportunités et de leurs fantasmes.

Les deux tomes suivants vont plus les amener à s’apprendre les uns les autres, à confronter leurs valeurs, leurs fonctionnements, leurs erreurs. Toujours, avec comme fil conducteur, cette musique, reflet de ce qu’ils sont et de leurs émotions. Cette musique qui dit tout et pourtant hermétique aussi.
Le quatrième tome apporte par contre une coupure graphique avec les précédents. Plus décousu, alternant les mises en page (pleine page, mélanges ou cases "classiques") et les matières (crayon, pastel, aquarelle), on a vraiment l’impression que Sfar a écrit son histoire en dessin automatique. Incrustant dans le "récit" (qui a plus l’allure d’une scène centrale ouvrant la possibilité à diverses réflexions) des saynètes isolées de personnages toiles de fond, il laisse aussi penser que, finalement, s’il avait prévu quelque chose, ben tant pis, c’est quand même lui le Maître de l’histoire et s’il a envie de faire autrement, c’est son affaire. D’ailleurs, ce quatrième tome était annoncé par l’auteur en fin du troisième comme titré Kishimev des fous (où l’on devait retrouver nos héros revolvers au poing…). Que nenni !  Ce Trapèze volant a tous les airs d’une récréation hyperkinétique donnant le loisir aux personnages de montrer leur évolution, de nouvelles facettes de leur personnalité sans faire beaucoup avancer leur parcours. Intéressant, libre, explosé, ce tome.

On sent cette audace, cette auto-permission de Sfar d’aller dans le sens qui lui correspond au moment où il crée. Beaucoup d’humour, de texture, d’atmosphère mais un peu de désordre dans cette série, donc, qui offre en plus, dans les trois premiers tome, un épilogue version journal où Sfar donne ses impressions concernant l’aquarelle, la ville d’Odessa, des anecdotes familiales, etc.

On attend la suite pour encore nous déboussoler agréablement.