BD : Par les chemins noirs - T01: Les Prologues

Auteur : David B.
Editeur : Futuropolis

A la fin de la Première Guerre mondiale, l'Europe est en pleine agitation, en pleine mutation politique et culturelle.

L'Italie a reçu un certain nombre de territoires, mais pas le port de Fiume, dont les habitants sont pourtant en majorité italiens. Le 12 septembre 1919, le poète et aventurier dadaïste Gabriele D'Annuzio, à la tête d'anciens soldats et de déserteurs, s'empare de la ville, qu'il déclare indépendante et dont il se déclare "Comandante". Un poète charismatique et allumé pour président, ça promet un fameux boxon ! L'armée italienne encercle la ville, mais sans attaquer.

C'est dans ce contexte poético-bordélique que se croiseront divers personnages, dont le beau Lauriano, ancien soldat devenu plus ou moins voleur, et en butte à la bande des Milanais, auxquels il a arraché la jolie Mina Linda, chanteuse de cabaret et agent double à ses heures.

David B. aime le désordre et la nuit. Le désordre parce que c'est du choc des personnages lancés chacun sur sa trajectoire que naissent les histoires. La nuit parce que ses récits ont la substance des rêves, où les objets prennent vie et où les métaphores deviennent réalités. Jusque dans son œuvre majeure L'ascension du Haut Mal où il traitait de sa famille et de l'épilepsie de son frère aîné, la bibliographie de David B. a toute entière été dédiée au rêve. Des rêves sombres parcheminés d'humour noir qui nous entraînent dans un monde fascinant, peuplé de pirates et d'assassins, de fantômes, de saints, de démons et de savants fous. Cet univers unique, "anarchonirique", porté par un graphisme expressionniste et puissant, a fait de David B. un des grands auteurs de notre époque, et dont la portée dépasse le seul univers de la BD.

Dans Par les chemins noirs, pour la première fois, l'auteur ancre son récit dans un contexte historique précis, sans se donner les joies (et peut-être les facilités, du moins pour lui) de la divagation onirique. Peut-être parce que, dans la reconstruction des années '20 et plus particulièrement dans l'épisode de Fiume, où la réalité dépasse la fiction, la vérité historique suffit amplement à ses appétits de délires ; la folie de D'Annuzio aurait été déforcée par une folie supplémentaire dans le récit.

Le nouveau cycle qu'entame David B., et dont nous ne voyons ici que le prologue*, promet d'être palpitant : des années '20, où tout semble possible, aux années '30, où le pire s'annonce.

Ce faisant, David B. se rapproche de l'univers de Pratt, qui ne manquait jamais une occasion de permettre à Corto de rencontrer des figures historiques  - par exemple Gabriele D'Annuzio, qui fait une apparition remarquée dans Fable de Venise. Sauf que leurs trajectoires se reflètent en miroir : Pratt avait glissé progressivement de la réalité au rêve symbolique, quand David B. fait le chemin inverse.

Peut-être que ce premier tome des Chemins noirs marque un tournant décisif dans l'œuvre de David B. Peut-être que la création lui sert, comme à beaucoup d'auteurs, de thérapie, et peut-être qu'il change peu à peu. Peut-être que c'est lui qui parle de son œuvre dans cette tirade du capitaine Ruffolo :
"Je dois dire que c'est un beau bordel. Parfois même un très beau bordel. Mais certains matins après une nuit hystérique de bagarre entre soldats ivres ou drogués, il se dégage de ce désordre un mélange de tristesse et de bêtise qui me dégoûte ! J'ai beau avoir déserté l'armée italienne pour servir un régime improvisé, il me reste quelque chose du sens du devoir. Ou en tout cas de la nécessité d'un certain équilibre." Peut-être, peut-être pas. Qui vivra, et qui parcourra avec lui les Chemins noirs, verra.

Chronique par Geoffroy d'Ursel


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d'ouvrages de David B. :
- L'Ascension du Haut Mal