BD : Le couteau-chien

Auteur : Joël Cimarón
Editeur : Gallimard



Personne n’a encore entendu parler de Joël Cimarón. Et pour cause, puisque Le couteau-chien marque son entrée dans le monde de la BD (après plusieurs beaux albums pour enfants). Une entrée par la grande porte : ce premier album a les honneurs de la collection Bayou de Gallimard qui nous a offert tant de bonnes surprises ces dernières années.

Or donc, dans un favela sud-américain (ou martiniquais ?), Zuel, le chef de la bande, se voit confier le "couteau du diable" par un ami mourant. Pour conjurer la malédiction, il doit jeter l’objet dans le fond du volcan. Mais Zuel est bien trop sûr de lui pour se débarrasser du couteau maléfique. Mal lui en prend : avec ses deux amis David et Zouti, Zuel se retrouvera happé dans un univers parallèle peuplé de grenouilles, de cochons et de boucs qui parlent. Un lieu fantastique où l’on se nourrit de chair humaine, et dont Zuel est appelé à devenir l’empereur…

Au premier coup d’œil, Le couteau-chien fait un peu penser à Orn cœur-de-chien, série de Cothias et Taffin qui eut son succès dans les années '80. Mais il s’agit d’une fausse piste.

En fait, Le couteau-chien est la version BD du dessin animé Le retour de Lyaram que prépare Joël Cimarón – une œuvre qui promet d’être de toute beauté si l’on en croit cet extrait : http://www.dailymotion.com/video/x1mucx_le-retour-de-liaram_creation.
Et l’imaginaire de l’auteur, tout imprégné qu’il puisse être de légendes créoles, semble très influencé par celui du réalisateur Hayao Miyazaki (particulièrement du Voyage de Chihiro et de Princesse Mononoke). Les deux auteurs, le créole et le japonais, plongent tous deux leurs racines dans des univers animistes où il est parfaitement naturel que les animaux parlent et que l’homme ne soit qu’une partie d’une nature qu’il ne domine pas – un univers qui plonge les Occidentaux (enfin, moi en tout cas) dans un état de stupéfaction émerveillée. Les admirateurs de Miyazaki retrouveront un peu de son univers visuel dans Le couteau-chien, ainsi que plusieurs de ses thèmes de prédilection (le voyage onirico-initiatique, les rapports complexes d’un être "élu" au pouvoir…).


Cette comparaison, qui n’est pas une critique, s’arrête là. Sur des bases similaires, Joël Cimarón développe ses propres imaginaire et philosophie. Il en donne peut-être l’une des clés dans la dédicace à Aimé Césaire, le poète et homme politique qui créa le concept de "négritude". Or le "couteau du diable" qui donne son pouvoir à Zuel est "la saloperie avec laquelle les békés (blancs) règnent sur ce maudit pays depuis toujours".

Le couteau-chien est-il une version onirique du combat des Noirs pour s’affranchir des Blancs ? Peut-être. Ou peut-être pas. Il n’en resta pas moins que, pour peu qu’on se laisse envoûter, cet album dégage une magie puissante qui ne s’épuise pas à la première lecture.

Chronique par Geoffroy d'Ursel