La Couturière

Auteur : Frances de Pontes Peebles
Editeur : Flammarion



À une époque où l’on pourrait trouver les sagas romanesques décalées et un brin démodées, Frances de Pontes Peebles parvient sans souci à nous prouver qu’il n’en est rien. Et, pour ce faire, elle s’arme d’un roman de près de 600 pages, plongeant son récit dans le Brésil des années ‘20, Brésil dont elle-même est originaire. Un Brésil alors en plein bouleversement politique, culturel, social.

Deux sœurs, Emilia et Luzia Dos Santos, orphelines élevées par leur tante, semblent avoir un destin tout tracé. Si la première, ambitieuse et romantique, rêve de mode et d’évasion citadine lors de leurs cours de coutures, la seconde s’est depuis longtemps vouée à la rigueur et la résignation d’une vie rurale, son bras estropié lui ôtant tout espoir de mariage. Différentes mais unies, elles voient leurs chemins se séparer à l’aube de leur vingt ans lorsque Luzia se fait emmener par le chef des Cangaçeiros, mercenaires en rébellion contre le gouvernement corrompu et ses propriétaires terriens sans scrupules. Emilia, esseulée, finit par épouser le fils d’une famille bourgeoise de Recife. Mais ce mariage de raison n’apportera que désillusions et amertume.

Prenant part au combat des Cangaçeiros visant à défendre les paysans affamés du Sertão – l’arrière-pays brésilien –, Luzia finit par être surnommée la Couturière et acquérir une réputation de cruauté et de dureté. Suivant de loin son parcours sans toujours le comprendre mais avec une fidélité de sœur aimante, Emilia tente, quant à elle, de faire sa place dans le milieu très fermé des riches familles de Recife tout en faisant face à ses déboires maritaux.

La Couturière est un roman dense, passionnant et extrêmement bien écrit. N’abusant pas des figures de style, Frances de Pontes Peebles va droit au but avec une force narrative époustouflante, emmenant avec elle l’histoire d’un Brésil déboussolé, en proie aux coups d’Etat, aux essais d’émancipation, à l’hypocrisie, aux inégalités sociales et aux tentatives maladroites de progrès technologiques et culturels. Un thème dur, un challenge littéraire, peut-être, mais l’auteur n’a pas oublié d’user de sensibilité et d’ouverture d’esprit pour en venir à bout.

On pourrait le trouver long, mais s’il l’est, c’est parce que ce roman n’a rien laissé au hasard et qu’il plante son décor, définit ses personnages, avec rigueur et efficacité. On y croit, on est emporté, c’est un ouvrage majeur et inspiré, richement documenté, où la fiction se mêle sans effort à la réalité et inversement.

Chronique par Virginie