BD : Le chasseur déprime

Auteur : Mœbius
Editeur : Stardom




Si la série western Blueberry reste indéniablement son plus gros succès commercial, il y a fort à parier que c’est Mœbius, le versant onirique et libéré de Jean Giraud, qui marquera davantage les lecteurs et les auteurs de demain.

Le chasseur déprime, son plus bel album de bande dessinée depuis longtemps, se présente comme un spin-off du mythique Garage Hermétique (1979), mais poursuit aussi la nouvelle voie graphique inaugurée dans son livre-carnet 40 days dans le Désert B.

Mœbius parvient une fois de plus à franchir un nouveau palier, à réinventer son espace de liberté en mélangeant les techniques (manuelles et numériques), en réagençant des dessins anciens (inédits) avec des nouveaux. Un jeu de collages que n’aurait certainement pas renié Burroughs.

Avec Le chasseur déprime, Mœbius emmène le lecteur pour une balade dans son univers graphique. Les événements s’y succèdent mais on est souvent tenté de s’arrêter et de contempler ce splendide décor artificiel. Le fond et l’action – très décalés – y taquinent la forme – très esthétique. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec le surréalisme tel qu’il était développé par Max Ernst. Sans oublier l'influence chamanique omniprésente de Castaneda.

"Oui, mais bon, qu’est-ce que ça raconte, en fait ?" me demanderez-vous ? Tentative de résumé d’un récit construit comme un rêve ésotérique :

Le major Grubert est dépressif, errant dans le désert B., ce monde artificiel qu’il a lui-même créé. Prenant conscience que plusieurs personnages manigancent quelque chose contre lui, il hésite entre un retour sur terre - où il pourra se la couler douce - ou désamorcer le complot meurtrier. Evidemment, il opte pour la seconde option.


Mais seul, Grubert est en proie à toutes les déstabilisations de son monde imprévisible (et abstrait). Entre les intentions d’un providentiel "allié" et celles de la sulfureuse Madame Van Peebles, à qui se vouer ?

Un musée en plein désert, des lapins agressifs aux oreilles en forme de gélules (ce qui rappelle les pifpafs d’Edena), un crâne de cristal… voilà d’autres éléments qui illustrent l’atmosphère foldingue de cette histoire jubilatoire. La beauté de la couverture à l’ancienne et du papier intérieur (du papier aquarelle ?) sont encore autant d’éléments qui finissent de rendre ce premier tome du Chasseur déprime un livre indispensable.


Chronique par Joachim Regout