Une première fois édité en 2018 chez Delcourt,
Mauvaises herbes ressort cette fois chez Futuropolis. Riche idée de nous
offrir une
nouvelle possibilité de découvrir ce remarquable et grave roman
graphique !
Mauvaises herbes a été réalisé, comme l'indique son sous-titre, d'après le témoignage d'une esclave sexuelle durant la guerre du Pacifique. L'auteure, Keum Suk Gendry Kim, y alterne d'ailleurs les moments de rencontre avec Oksun et le récit de cette dernière.
Au début des années 1930, Oksun est une petite fille coréenne rêvant d'aller à l'école. Or, à moins d'avoir de l'argent, ce type d'établissement est réservé aux garçons et sa famille a déjà bien du mal à se nourrir. Le pays a été annexé par le Japon depuis 1910 et, comme souvent, c'est le petit peuple qui en pâtit le plus. Au bord de la misère totale, ses parents décident de faire adopter Oksun, lui faisant entrevoir un avenir meilleur et surtout la possibilité de s'instruire. Or, dans les faits, elle devient la bonne à tout faire de tenanciers d'un restaurant, puis d'un bistrot, avant de se faire emmener de force en Chine, où elle deviendra "femme de réconfort" pour les soldats de l'armée japonaise, occupant également ce pays dès 1937.
Keum Suk Gendry Kim a ce talent de nous faire revivre l'horreur de la vie de ces femmes sans faire étalage d'images traumatisantes, grâce à la puissance de la narration, à la mise en scène et à quelques ellipses bien vues. Les personnages sont dessinés avec minimalisme ; quant à la nature, elle bénéficie d'un traitement particulier, quelques champs de céréales et paysages de montagnes sont particulièrement magnifiques. Le choix de l'encre noire convient parfaitement à la gravité du sujet. Certaines représentations - on pense à l'arrivée de l'armée russe en Chine - sont quasiment expérimentales.
Les moments de complicité entre Oksun et la dessinatrice apportent des respirations dans lesquelles l'humour fait quelques incursions, l'octogénaire n'étant pas avare en facéties. On peut se demander dans quelle mesure cet état d'esprit lui aura permis de trouver la force de raconter son enfer. Si son récit montre bien entendu la tragédie de ces coréennes prostituées par et pour l'armée japonaise, il nous suggère au passage que les guerres suscitent toujours ces comportements et situations, la discrimination et la violence faites aux femmes, et en particulier aux plus pauvres. Les classes populaires, les plus démunies, en prennent toujours davantage plein la tronche.
Un témoignage intense, dur, douloureux, mais indispensable.