Que n’avons-nous pas entendu - ces dernières années - d'allusions au roman 1984 du britannique George Orwell, notamment par crainte des dérives sécuritaires qui menacent nos sociétés ! Nous sommes nombreux à nous être dits "il faudra un jour que je le lise, tout de même". Et ce jour-là, où on se décide à l'acquérir, quelle n’est pas notre surprise de devoir faire un choix devant non pas une, mais trois versions en français du même roman ! Mais pourquoi diable Folio (le label de livres de poche de Gallimard) propose-t-il ces différentes versions dans son catalogue ?
Tout d’abord parce que la seule version que nous avions à disposition durant des décennies était la traduction d’Amélie Audiberti, qui comportait son lot d’inexactitudes et d’omissions, ainsi qu'un style plus ampoulé que celui du texte original. A la fois, certaines formules françaises telles la "Police de la pensée", le "novlangue" ou la "double-pensée" ont tellement marqué les esprits qu’elle fait partie du patrimoine littéraire. Elle reste disponible, garde un intérêt... mais les deux autres versions récemment parues sont devenues plus pertinentes.
La première, traduction de Josée Kamoun, est plus tournée vers l’impact de la langue d’arrivée (le français, donc) que la seconde, dont nous parlerons plus bas. La traductrice y dépoussière littéralement l’œuvre originale (datant de 1949), à la fois pour la rendre plus accessible - et glaçante - aux lecteurs d’aujourd’hui. Corrigeant les erreurs factuelles et les oublis d’Audiberti, elle ressuscite la subtilité littéraire plus incarnée, vivante, d’Orwell.
Tout d’abord parce que la seule version que nous avions à disposition durant des décennies était la traduction d’Amélie Audiberti, qui comportait son lot d’inexactitudes et d’omissions, ainsi qu'un style plus ampoulé que celui du texte original. A la fois, certaines formules françaises telles la "Police de la pensée", le "novlangue" ou la "double-pensée" ont tellement marqué les esprits qu’elle fait partie du patrimoine littéraire. Elle reste disponible, garde un intérêt... mais les deux autres versions récemment parues sont devenues plus pertinentes.
La première, traduction de Josée Kamoun, est plus tournée vers l’impact de la langue d’arrivée (le français, donc) que la seconde, dont nous parlerons plus bas. La traductrice y dépoussière littéralement l’œuvre originale (datant de 1949), à la fois pour la rendre plus accessible - et glaçante - aux lecteurs d’aujourd’hui. Corrigeant les erreurs factuelles et les oublis d’Audiberti, elle ressuscite la subtilité littéraire plus incarnée, vivante, d’Orwell.
Mais Josée Kamoun ose aussi un parti-pris radical : tout le roman est transposé au présent et elle donne de nouvelles formulations pour "Police de la pensée" et "novlangue". Pourquoi ? Parce que les véritables nuances originelles de ces expressions ont été perdues dans l’usage courant. Ici, on lira plutôt "Mentopolice" et "néoparler". C'est perturbant au premier abord mais très efficace.
Et puis il y a la version de Philippe Jaworski, la plus fidèle possible au texte orwellien dans sa langue et son édition originales. D’ailleurs, conformément au véritable titre de sa première édition anglaise, Nineteen Eighty-Four, le titre conserve ici sa graphie en toutes lettres : Mil neuf cent quatre-vingt-quatre et non 1984. Un détail de puriste ? Pas selon Jaworski, qui considère Orwell comme un "romancier à thèse", dont il convient d’exposer minutieusement la pensée. Dans sa préface, il explique d'ailleurs :
Et puis il y a la version de Philippe Jaworski, la plus fidèle possible au texte orwellien dans sa langue et son édition originales. D’ailleurs, conformément au véritable titre de sa première édition anglaise, Nineteen Eighty-Four, le titre conserve ici sa graphie en toutes lettres : Mil neuf cent quatre-vingt-quatre et non 1984. Un détail de puriste ? Pas selon Jaworski, qui considère Orwell comme un "romancier à thèse", dont il convient d’exposer minutieusement la pensée. Dans sa préface, il explique d'ailleurs :
"Ce n’est pas un point mineur. La date chiffrée trahit une intention d’anticipation. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un repère lointain par rapport à l’année de publication, cette seule suite de quatre chiffres a fait aussitôt ranger le livre au rayon des ouvrages de science-fiction. (…) La graphie littérale, elle, atténue le caractère abrupt et sévèrement circoncit de l’indication. Ce n’est pas une encoche, une marque ou une croix faite sur un calendrier, mais un groupe de mots à lire. En imaginant une action située peu de temps après la publication du roman, Orwell n’entendait pas évoquer le futur qui nous attend, à l’imitation des utopistes qu’il connaissait, puisque ce "demain" allait vite devenir le présent de ses contemporains (lui-même, né en 1903, aurait fort bien pu fêter ses quatre-vingt-un ans en 1984 !).
Ce qu’il publie est une fausse anticipation, un simulacre d’utopie écrit pour railler les utopies : il ne raconte pas ce qui pourrait se passer demain, mais ce qui se passe aujourd’hui, maintenant. Ses premiers lecteurs ne s’y sont pas trompés, qui n’ont pas eu de peine à reconnaître dans le Londres de la Zone aérienne n°1 la capitale anglaise de l’après-guerre : terrains défoncés, cigarettes et chocolat de piètre qualité, rationnement des lames de rasoir, cantine aux allures de soupe populaire, ascenseurs en panne… Orwell n’a pas cherché à projeter son lecteur dans un monde futuriste rempli d’engins extraordinaires, fruits de développements technologiques prodigieux."
George Orwell s’inspire en effet de son expérience et d’informations glanées en tant que fonctionnaire dans la police impériale en Birmanie, de combattant anarchiste en Catalogne ou de son passage dans les mines de charbon du Yorkshire. Jaworski précise que "pour les contemporains de l’auteur, l’histoire commençait à se dérouler dans un avenir proche, comme une menace, et elle s’est achevée dans un passé indéfini. Quel est alors ce "présent" postulé dans l’Appendice ? Ce ne peut être que celui du lecteur à venir."
Cette traduction scrupuleuse maintient donc le système des temps au passé. Elle propose aussi une nouvelle terminologie pour les concepts-clé du roman, mais la morphologie lexicale de ces termes suit exactement celle des néologismes forgés par Orwell ("Big Brother" devient "Grand frère", par exemple).
Un classique qui bonifie, plutôt deux fois qu'une. A (re)lire absolument.
Un classique qui bonifie, plutôt deux fois qu'une. A (re)lire absolument.
Chronique collective de la rédaction Asteline