Editeur : Flammarion
Peut-on écrire une thèse sans mourir d’ennui ou sans devenir fou ? Voilà une question qui taraude plus d’un étudiant confronté à cette dure épreuve qu’est la thèse… comprendre la thèse "à l’italienne", c’est-à-dire un équivalent de nos mémoires de master. Avec toute la simplicité et la bonhomie qui caractérise l'éminent auteur du Nom de la rose (ou encore du Pendule de Foucault, entre autres) répond à cette question par l’affirmative, et l’étaie, la valide et la rend accessible à tout un chacun.
Il sert alors de modèle et de support à ses propositions : faire une thèse, c’est avant tout apprendre à organiser des données et sa propre idée. En lançant d’emblée cette piste, Umberto Eco fait tomber la première question que se posent les étudiants, et qui les freine souvent dans l’aboutissement d’un tel travail ; en un mot comme en cent : à quoi ça sert ? En redorant le blason de ce qui est souvent vu comme une sorte d’étape obligatoire sans grande ambition, l’auteur souligne alors qu’une thèse/un mémoire, c’est avant tout un processus en soi. Ce processus est par ailleurs non seulement ancré dans le présent, formateur par essence, mais il aura aussi un impact dans l’avenir : "La manière de travailler sur ce que l’on sait dépend toujours de la manière dont on a cherché au début ce que l’on ne savait pas". Eco entame donc son ouvrage par l’apologie du processus transversal soutenu par la rédaction d’un tel travail, qui se situe au-delà de l’utile et du factuel. Ce faisant, il en profite pour dédramatiser l’obstacle voire l’échec et engager l’étudiant à voir cette étape non pas comme une contrainte, mais comme une chasse, un défi …on parle bien de recherche d’ailleurs. Il ne le fait pas en usant de vaines paroles, de prêchi-prêcha bienveillant mais sans substance. Il illustre au contraire toujours le propos du point de vue de l’étudiant : de ses freins et de ses ressources, et de comment les utiliser tous deux à bon escient.
Dans la suite du livre, il engage une description didactique des différentes étapes d’une thèse : du choix du sujet, à la recherche des matériaux, la synthèse des informations …en passant par les relations avec son directeur de thèse, jusqu’à la difficile étape de la rédaction. Étape à laquelle il redonne ses lettres de noblesse. Car oui, vulgariser est un art qui se respecte. Faire comprendre ses idées et rester dans l’exactitude et la subtilité, tout en s’adaptant aux connaissances du lecteur et en restant digne d’intérêt, demande le respect de codes et de procédures. Eco l’illustre via des exemples et contre-exemples, ainsi que la description de pièges et d’usages courants.
Tout au long de cet ouvrage, l'écrivain remet en perspective des idées que bien des pédagogues et encadrants considèrent comme acquises et qui pourtant, une fois énoncées à sa façon, prennent une tout autre envergure. Ayant moi-même encadré à plusieurs reprises des mémoires de master, je peux sans réserve conseiller ce livre, en premier lieu, à tous les étudiants qui se lancent dans ce genre de travail. Cela leur permettra d'avoir un nouvel angle de vue sur la question même de ce qu’il représente ; de faire preuve d’une certaine indulgence envers eux-mêmes durant sa réalisation ("Dans une thèse comme dans le cochon, tout est bon") et de bénéficier d’innombrables informations qui les accompagneront en douceur à chaque étape de cette réalisation. Mais je le conseille aussi à tous mes collègues professeurs et assistants, car même après l’écriture de sa propre thèse (de doctorat), être un bon pédagogue ça se travaille constamment, et l’expertise d’Umberto Eco en la matière est un exemple à suivre.
Chronique par Romina Rinaldi