Editeur : Gallimard
Ce
roman, ce conte, pourrait trouver son épicentre en Frasquita Carasco. Avec
elle, grâce à elle, les tissus s'assemblent, les hommes se réparent, les chairs
se recousent, les cœurs se raccommodent. De sa mère, Frasquita hérite
d'étranges prières et d'une mystérieuse boite, dont la gestation de neuf mois
mettra au monde des fils et des aiguilles, mais aussi le don de s'en servir
pour changer tant l'univers qui l'entoure que les êtres qui l'habitent. Nous
sommes dans un village fictif de l'Espagne du XIXème siècle, au creux des
montagnes, isolés : un microcosme dense, tourné sur lui-même et ses
superstitions.
L'histoire
de Frasquita, c'est Soledad, sa dernière fille qui la raconte. Comme ses sœurs avant
elle, Soledad a reçu de cette curieuse boîte un talent particulier. Pour elle,
un cahier et de quoi y coucher l'histoire de sa famille, de cette mère qu'elle
a si peu connu, dont elle ne peut démêler le réel de l'imaginé. Frasquita, cette
femme fanée le jour de ses noces par le regard des autres, cette femme absolue,
cette femme jouée et perdue par son mari. Cette femme sorcière. Et puis Soledad
de raconter l'histoire de ses sœurs aînées: Anita, la muette qui deviendra conteuse;
Angela, l'enfant-oiseau dont la voix envoûte les hommes; Martirio, la ressuscitée
au baiser mortel; Clara, l'enfant-lumière, qui se recharge le jour et brille la
nuit. Mais aussi de son unique frère, Pedro el Rojo, garçon à la chevelure
rouge qui redessine leur vie sur le sol et les murs. Cette famille, sa lignée
de femmes magiciennes, son errance, ses turbulences se construisent comme une
légende.
Marqué
de réalisme magique, Le cœur cousu est de ces récits qui se déroulent
de façon faussement linéaire, naissant là où ils meurent, s'enroulant sur
eux-mêmes dans un dédale de détails et de scènes flamboyantes et contrastées. Fantômes,
incantations, malédictions, alimentent la tragédie, le parcours jalonné de
sacré et de profane, les amours douloureuses et la folie des âmes sensibles. Carole Martinez tisse le fabuleux dans
un univers rude, terreux, impitoyable, et cela d'une plume poétique, lyrique et
imagée qui semble traductrice d'une oralité ancestrale. Voilà qui se prête dès
lors bien à son adaptation dans la collection Ecoutez Lire, lue ici par Suliane
Brahim, dont la voix douce et fluide s'allie parfaitement à ce récit très
féminin.
Un
voyage, un chant, paré de couleurs vives, de soleil, de sang, de larmes et de silences
bruyants. Le cœur
cousu est un long fil doré, parsemé de nœuds où s'accrochent l'imaginaire
et la langue de l'infini.
Chronique par Virginie
N.B. : lisez aussi notre chronique à propos de La Terre qui penche, par la même auteure.