Editeur : Flammarion
Comment prenons-nous nos décisions ? Telle est la question générale posée dans cet ouvrage où le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman revient sur la façon dont notre pensée s’organise autour de deux systèmes principaux: le système 1 (intuitif, émotionnel et sujet aux biais) et le système 2 (rationnel, plus lent, mais aussi plus contrôlé et demandant plus d’efforts). À partir de là, Kahneman expose autour d’une revue très exhaustive de la littérature les limites de notre "rationalité" en proposant d’aborder des notions comme la charge cognitive, l’énergie mentale, les styles de pensée rationnelle et expérientielle, les notions de causalité interne/externe, de vraisemblance, de biais cognitifs au sens large, etc. Il propose ainsi un ouvrage qu’on peut facilement qualifier de complet et qui fournit une somme abondante d’informations.
Toutefois, ce livre, dont la réputation n’est pourtant plus à faire dans sa version originale - Thinking fast and slow - est d’un conventionnel sans précédent. Les adeptes des essais de psychologie cognitive, sociale ou comportementale, savent à quel point ces sujets sont propices à attiser la curiosité du lecteur autour de situations où il pourra aisément se reconnaître et mieux se comprendre. L’un des défauts principaux de ce livre en tant qu’ouvrage de vulgarisation est alors sans doute d’oublier souvent le lecteur ; beaucoup plus souvent qu’il ne faudrait.
Au-delà du fait que les notions abordées sont en général connues du grand public, en tous les cas celui qui s’intéresse un tant soit peu à ces domaines d’investigation, les notions sont traitées avec peu d’impertinence, peu de fluidité et laissent parfois une impression de dichotomies manichéennes là où un peu de nuances aurait tout son sens. Il est alors assez décevant de constater la façon dont des notions aussi fascinantes et dont la découverte a changé et change encore les mentalités sont évoquées sans plus d’entrain. Le rythme n’y est pas et pour une telle quantité d’informations, c’est un problème majeur.
Ainsi, cette méta-analyse de 649 pages couplée à une préface et des éléments biographiques très souvent non pertinents (et parfois largement présomptueux) et au plantage de décor façon "citoyen modèle", récurrent dans l’ouvrage, laissent l’impression que Kahneman tire parfois vers la biographie, quitte à oublier le lecteur et l’écho que les notions abordées peuvent avoir pour lui.
Force est de constater toutefois que si vous n’êtes pas familiers avec ce champ d’études, l’ouvrage vous éclairera sur plus d’un demi-siècle de découvertes scientifiques ; ce qui n’est pas peu en soi. Kahneman est un scientifique dont le parcours et le renom sont amplement reconnus et il prouve toute sa connaissance dans cet ouvrage, mais encore une fois, pas sa capacité à la transmettre ni à susciter la réflexion. En effet, un bon scientifique n’est pas toujours un bon vulgarisateur et la forme laisse parfois l’impression que dans cet ouvrage, pour reprendre les mots de Kahneman, peu de place était faite au système 1 (qui selon la loi du moindre effort, est celui qui mènerait au terme du livre sans laisser l’impression de sortir de classe). Ainsi, si l’ouvrage est tout à fait valable et une mine d’informations en soi, je ne saurais que vous conseiller des livres moins condescendants et bien plus ludiques sur ce même sujet.
Pour conclure, les conseillers en communication et autres orateurs de talent vous le diraient sans doute comme ceci : "la meilleure façon de transmettre une information, c’est de raconter une histoire" (pour preuve le succès de livres comme Talk like TED de Carmine Gallo qui vous donnent les secrets des orateurs des TED Talks®, sorte de canon de perfection du discours convaincant, et qui commencent systématiquement par une anecdote). Disons alors que Système 1, système 2 - Les deux vitesses de la pensée est une histoire sans début ni fin ; sans accroche et sans rebondissement et où le personnage principal (Daniel Kahneman) omet que ce sont les informations qui devraient être le héros et pas lui… ayant parfois tendance à se laisser peu trop aller à "l’autocongratulation".
Chronique par Romina Rinaldi
Extrait de cet essai :