Editeur : Gallimard
Par
le titre, le roman est localisé, défini, posé sur la carte. Le Nord Ouest,
c'est celui de Londres. Willesden, Kilburn. Zadie Smith vient capturer, dans
son premier chapitre, les pensées errantes d'une de ses protagonistes : Leah
est rousse, blanche, et fait office d'exception dans sa communauté plus sombre
de peau. Mi-trentenaire, occupant une fonction au-dessous de ses compétences,
elle est mariée à Michel, mi-Africain, mi-Français. Elle observe son
environnement et, encore pétrie de naïveté, donne de l'argent à une femme venue
sonner à sa porte, prétextant un taxi à prendre pour voir sa mère malade. Cette
femme qui entre dans son univers est, comme elle, allée à l'école de moyen
niveau Brayton. Elles se reconnaissent et mesurent l'ampleur de la distance
sociale qui les sépare.
Si
le premier chapitre est consacré à Leah, le suivant l'est à Felix, jeune black
qui croit s'en être sorti, en faisant du tri dans son existence, trouvant
l'amour et un moyen de gagner sa vie. Puis vient Natalie, la meilleure amie de
Leah. Malgré un environnement familial déplorable, elle semble avoir fait un pied
de nez au destin en devenant avocate et en se mariant à un homme riche et
séduisant. En filigrane, le junkie Nathan Bogle, autrefois coqueluche de son
école.
Zadie
Smith et son "réalisme hystérique" (concept qui caractérise une
écriture contrastée, balançant entre descriptions quasi journalistiques et
prose plus extravagante), évoquent ici une banlieue aux accents mixtes, dans ses
ethnies comme dans ses niveaux de vie, où
se mêlent les âmes égarées et les nouveaux riches confortablement
installés. Assise entre ces deux chaises, une classe moyenne indécise. De
toutes ces divergences, Leah et Natalie sont les symboles, ayant gardé comme
lien leurs souvenirs communs davantage que leurs présents respectifs.
Regards
pointus et hyperréalistes sur un quartier aussi multiculturel que multicolore, dans
un roman où la structure s'échappe du conventionnel par quelques modifications
typographiques (abandon des guillemets et autres tirets dans des passages où le
dialogue et la pensée finissent par ne faire qu'un) ou une découpe
ultra-factuelle (séquençage numéroté et titré d'événements anodins ou non).
Pourtant, la prose de Zadie Smith ne se contente pas d'une narration linéaire,
elle s'accroche bien à l'image et à l'exagération du trait lorsque le moment l'exige.
Etude
sociologique, lit du féminisme et du questionnement ethnique (l'auteur, s'exprimant
dans le Guardian au sujet de son roman, dira que les fins heureuses ne sont pas
universelles, que certains sont toujours à la traîne et, généralement, ceux-là
sont souvent des hommes noirs jeunes), Ceux
du Nord Ouest n'est pas vraiment animé par une intrigue saisissante. Il
s'agit avant tout d'une loupe aiguisée, d'un plongeon dans la densité d'une vie
londonienne où chacun porte plusieurs origines en lui.
Cette
immersion se fait si bien en profondeur que l'on s'y perd parfois un peu. Il
s'agit d'un roman ambitieux, que l'auteur imprègne de sa passion pour Joyce,
Woolf et autres représentants du modernisme. Smith a la plume aiguisée, s'autorise
des digressions, des évocations (dont certaines n'ont peut-être pas bien
supporté la traduction) de références, des rapprochements-prises de distance
avec ses personnages. Mais cela n'est pas toujours si simple à suivre et il
faut garder le cap dans les méandres des cinq parties articulées chacune
différemment.
Mais
on ne pourra pas le nier, Zadie Smith est capable d'ouvrir d'incroyables portes
sur l'intime du genre humain.
Chronique par Virginie