ROMAN : Retour à Killybegs

Auteur : Chalandon
Editeur : Grasset



Retour à Killybegs fait "suite" ou plutôt alliance avec un roman précédent, Mon traître, qui évoquait l’amitié entre un jeune luthier français, Antoine, et un révolutionnaire irlandais, Tyrone Meehan. Amitié intense mais douloureuse pour Antoine, ce passionné de la verte Erin, brisé par l’annonce que Tyrone était en réalité un traître à la solde des services britanniques. 

Retour à Killybegs met Tyrone Meehan au centre du récit, narrateur blessé et errant, contant sa vie et ses douleurs, offrant à nos yeux de lecteurs le pourquoi intime de sa trahison. De l’enfance froide et pauvre battue par un père républicain orgueilleux et violent, à l’errance à Belfast, à la montée intérieure du patriotisme, au combat, à ces années de sacrifice pour la cause et pourtant… l’effroyable impasse, le piège, qui l’auront amené à travailler pour l’ennemi. 

Loin d’être réduit à un pamphlet manichéen anti-britannique ou pro-armée républicaine, ce roman dévoile toutes les failles, toutes les subtilités, les attitudes complexes, les paradoxes et les perditions de ces combattants qui existaient à travers la défense de leurs idées. Que ce soit la neutralité dans la Deuxième Guerre mondiale, incapables qu’ils étaient de vivre une autre guerre que la leur, que ce soit les égarements d’une milice civile faisant la loin au sein de ses quartiers, que ce soit le jusqu’au-boutisme forcené, que ce soit la prise de conscience de la cruauté ou de la ressemblance de l’ennemi, tous ces aspects sont les innombrables facettes de cette guerre intemporelle et pourtant si indissociable du cœur de certains. 

Mais Sorj Chalandon ne manque pas de rendre hommage à ces hommes qui ont fait l’Histoire, notamment tous les grévistes de la faim, morts sous l’indifférence et le visage intraitable de Margaret Tatcher au début des années quatre-vingt… Bobby Sands en premier, devenu un héros, mais aussi Patsy O’Hara, Joe McDonnell, et bien d’autres dont les noms sont égrenés au fil du texte. Tous ces hommes morts d’avoir voulu défendre leurs droits en tant que prisonniers politiques, et non criminels de droits communs. 

A la lecture de ce livre, l’auteur n’est pas senti "que" comme journaliste qui a connu l’Irlande mais plutôt comme celui qui l’a vécue. C’est l’homme qui l’écrit, avec beaucoup de sensibilité, de poésie, de lyrisme et d’âme. Retour à Killybegs est un roman plein de bruit et de fureur, de violence et de peine, mais c’est aussi le récit du courage intime, de la beauté et de la force. Un livre qui ne semble pas demander d’être "grand", mais qui l’est néanmoins… 

Chronique par Virginie

A lire aussi : nos chroniques à propos du 
Quatrième mur et Profession du père 
du même auteur.